L’huissier de justice : élément essentiel de l’Etat de droit
" Les huissiers de justice œuvrent dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ce qui fait d'eux un élément essentiel de l'Etat de droit "
Jamais, à notre connaissance, la profession n'avait enregistré pareille marque d'estime, venant, de surcroît, de l'une des plus prestigieuses juridictions du monde : la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) .
Cette prise de position de la CEDH est intervenue dans une affaire de reprise d'enfants opposant deux couples d'italiens à l'Etat roumain. Pour n'avoir pas apporté tout le soutien effectif désirable à l'huissier de justice chargé d'exécuter une décision prescrivant la remise d'enfants à leurs parents adoptifs italiens, l'Etat roumain a été condamné par la CEDH .
Il n'aura pas échappé la relation qu'établit la Cour entre le rôle de l'huissier de justice (intérêt d'une bonne administration de la justice) et son implication dans l'élaboration de la notion d'Etat de droit ("élément essentiel de l'état de droit ").
Par ailleurs, si l'on veut bien reprendre le texte de la recommandation n° 17 du 9 septembre 2003 élaborée par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), dont l'un des objectifs déclaré est de contribuer à l'amélioration des systèmes judiciaires des Etats membres, on s'aperçoit que celle-ci invite les états-membres à veiller à délimiter précisément les pouvoirs des huissiers de justice vis à vis des juges, dans deux domaines essentiels : la responsabilité et le champ d'intervention des agents d'exécution.
On n'ose à peine l'avancer, mais il apparaît pourtant clairement que la haute institution européenne, par la voix de ses différents organes, va au-delà de la simple reconnaissance de la profession d'huissier de justice. Car, sans vouloir spéculer sur l'interprétation qu'il convient de donner à l'arrêt de la Cour et à la recommandation du 9 septembre 2003, on peut retenir deux choses : d'abord que l'huissier de justice constitue un élément essentiel de l'Etat de droit, ensuite que ses prérogatives doivent être clairement fixées par rapport à celles attribuées aux juges.
C'est à se demander si l'huissier de justice ne deviendrait pas une institution ?
Cette situation, quelles que soient les appréciations des uns et des autres, n'est pas aussi surprenante qu'on pourrait l'imaginer. En effet, à force de persévérer depuis des années à promouvoir un huissier de justice à visage uniforme, conçu suivant des critères rigoureux articulés autour des notions de compétence, haute valeur juridique, responsabilité professionnelle, degré élevé de formation, ... il fallait bien un jour récolter le fruit de toutes ces semailles.
Nous enregistrons là, sans doute, non seulement le résultat d'années passées à valoriser nos fonctions, par ailleurs si souvent décriées - parfois même remises en cause - mais encore recueillons-nous toute la persévérance de la profession à marteler le message d'une exécution de qualité au profit d"une étroite corrélation entre Etat de droit et l'exigence d'un corps d'huissiers de justice indépendant et de haute qualité juridique. Enfin, bénéficions-nous aussi du temps passé à arpenter les couloirs, les halls et les salles de conférences pour vanter les vertus d'un huissier de justice impartial, indépendant et hermétique aux effets de la corruption.
C'est vraisemblablement à la faveur d'un peu tout cela, ajouté aux facteurs économiques, que les huissiers de justice ont accentué leur crédibilité et gagné la bataille de leur UTILITE. Nul ne peut prétendre exister s'il ne justifie de son utilité. A cet effet, la formule suivant laquelle tout Etat de droit est érigé sur la base d'un régime judiciaire reposant sur trois piliers : le juge, l'avocat et l'huissier de justice et qui accrédite le caractère incontournable de l'huissier de justice vient, de façon éclatante, de prendre toute son acception avec l'arrêt de la CEDH.
Les occasions où la profession peut tirer quelque légitime fierté de son excellence sont si rares qu'il serait malvenu de s'en priver, étant bien certain que la Cour de Strasbourg et la CEPEJ ne sauraient être suspectées de complaisance à notre égard.
L'influence du Conseil de l'Europe, de la CEDH et de la CEPEJ est grande. Sans doute les législations internes des Etats membres intéressés, mais aussi d'autres grandes juridictions - nous pensons à la Cour commune de justice et d'arbitrage d'Abidjan dans le cadre du traité de l'OHADA - pourraient-elles s'inspirer de la décision de la Cour de Strasbourg.
Il appartient maintenant aux présidents des chambres nationales de relayer le message que viennent d'adresser les juges de la "Grande " Europe.