Pendant l’ouverture du colloque, de G. à D. : Theodorus Ioannidis, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Chypre, Dionysios Kriaris, président de la Fédération nationale des huissiers de justice de Grèce, Leo Netten, président de l’UIHJ, Costas Hadzikosteas, président de l’Organisation des huissiers de justice de Chypre, Irene Christodoulou, Chief Registrar de la Cour suprême de Chypre, Georges Mitsis, président de la chambre des huissiers de justice d’Athènes
La signification par huissier de justice, source de sécurité juridique
Le programme Stobra 2 a été créé et présenté à l'occasion du Conseil des présidents européens de l'UIHJ qui s'est tenu à Bruxelles (Belgique) en mars 2012. Il a pour objet l'harmonisation de la signification transfrontière des actes en matière civile et commerciale, en particulier au sein de l'Union européenne. Une première réunion, qui s'est tenue à Constanta (Roumanie) le 5 septembre 2012, a posé les bases du projet.
C'est l'ile de Chypre qui a été retenue pour cette deuxième réunion Stobra 2. Nos confrères chypriotes ont le monopole de la signification des actes. Pour autant, ils sont confrontés à des difficultés pratiques.
Le colloque de Nicosie intervient à quelques mois des prochains travaux qui vont être mis en place par la Commission européenne dans le cadre de la réforme du règlement 1393/2007 du 13 novembre 2007 sur la signification des actes.
Il avait un double objectif. D'une part, permettre de faire la lumière sur les problèmes auxquels sont confrontés les huissiers de justice chypriotes. D'autre part, partager et confronter les expériences nationales en vue de dégager des points communs pouvant conduire à s'engager dans la voie de l'harmonisation de la signification des actes, en particulier de l'acte introductif d'instance, et plus encore des modes de remises.
La délégation de l'UIHJ était composée de son président, Leo Netten, de son 1er vice-président, Bernard Menut, de son vice-président, Dionysios Kriaris, de sa secrétaire général, Françoise Andrieux, et de ses deux premiers secrétaires, Mathieu Chardon et Jos Uitdehaag.
Les huissiers de justice chypriotes sont venus nombreux pour assister aux travaux, de même que les huissiers de justice de Grèce. La Chambre nationale des huissiers de justice de Hongrie était représentée par son vice-président, Ferenc Csaszti, et son secrétaire, Gyula Kovacs. On a noté la présence de nos confrères arméniens.
Le colloque a été ouvert en présence d'Irene Christodoulou, Chief Registrar de la Cour suprême de Chypre et de Theodorus Ioannidis, bâtonnier de l'Ordre des avocats de Chypre. Mme Christodoulou a fait part de l'intérêt que porte la Cour suprême de Chypre au colloque et à la signification des actes. M. Ioannidis a souligné que, lorsque les huissiers de justice signifient les actes, ils contribuent à assurer la sécurité juridique. Il a insisté sur l'importance de la formation et a indiqué qu'il fallait que la remise des actes soit facilitée. Costas Hadzikosteas, président de l'Organisation nationale des huissiers de justice de Chypre, a souhaité la bienvenue aux participants. Il a dit qu'il espérait que le colloque puisse permettre de trouver des solutions aux problèmes que les huissiers de justice de Chypre rencontraient dans le cadre de la signification et dont il allait faire état.
La notification postale, source d'insécurité juridique
Dans son discours d'introduction, Leo Netten a fait part de son plaisir de se retrouver à Chypre. Il a remercié les chambres des huissiers de justice de Grèce, d'Athènes et de Chypre pour avoir organisé ce colloque avec l'UIHJ. Le président Netten a rappelé qu'à Sibiu (Roumanie), en 2009, l'UIHJ avait organisé un grand colloque international à l'occasion du 10e anniversaire du sommet européen de Tampere. A cette occasion, l'UIHJ avait rédigé et préparé un projet de directive européenne d'acte introductif d'instance harmonisé. Ce projet prévoit les mentions qui, selon l'UIHJ, devraient être portées dans l'acte introductif d'instance. Ce document indique également comment cet acte doit être remis au destinataire, selon un mode sécurisé, par un professionnel juriste, tel l'huissier de justice.
Le président de l'UIHJ a en particulier rappelé qu'à l'occasion d'une réunion du Réseau judiciaire européen en matière civile qui s'est tenue en février 2012 à Bruxelles, la notification par voie postale avait été critiquée par plusieurs pays, soulignant l'absence de sécurité juridique et pratique.
Depuis toujours, l'UIHJ considère que l'information donnée au justiciable sur ses droits et ses obligations est essentielle dans un Etat de droit. Cette information doit revêtir deux caractères. Elle doit tout d'abord être réelle, c'est-à-dire avoir été effectivement donnée au justiciable. Elle doit aussi être incontestable. Pour être incontestable, il faut que l'on puisse prouver de façon irréfutable que le justiciable a bien reçu l'information. La seule façon de remplir ces deux exigences est une signification remise directement au destinataire par les soins d'une personne, un professionnel responsable, qui peut garantir les conditions de sa remise. L'huissier de justice remplit ces deux exigences. Il possède un atout supplémentaire. Il est capable de renseigner le justiciable au moment de la remise de l'acte, ce que lui permet sa qualité d'huissier de justice et de juriste. Cela est particulièrement important en droit interne. Cela l'est d'autant plus en droit communautaire ou international. Les plaideurs, qui demeurent dans des pays différents, parlent des langues différentes et sont soumis à des règles différentes. La protection du justiciable devient alors un impératif qui, à défaut d'être atteint, vide tout le processus judiciaire de sa substance.
Après avoir souligné ces enjeux, le président Netten a remercié les intervenants pour les éléments de réponse qu'ils allaient fournir.
En prémices aux travaux, il a été présenté le film qui avait été réalisé par l'UIHJ pour le colloque de Sibiu sur la signification des actes dans l'Union européenne. Ce film, réalisé par René Duperray, ancien secrétaire général de l'UIHJ, et Françoise Andrieux, est toujours d'actualité. Il démontre à la fois la très grande disparité des modes de signification, mais aussi que l'huissier de justice est capable, partout, d'assurer cette mission fondamentale.
Une hiérarchisation possible des modes de signification
Après une présentation générale des objectifs et de l'état des travaux Stobra 2 faite par Bernard Menut, la première table ronde a réuni Françoise Andrieux, le président Costas Hadzicosteas et Georges Mitsis, président de la chambre des huissiers de justice d'Athènes. La table ronde était modérée par Efhtimios Preketes, ancien président de la Fédération nationale des huissiers de justice de Grèce. Cette table ronde a permis de dresser un état des lieux de la signification en France, en Grèce et à Chypre, trois pays où les huissiers de justice accomplissent cette mission dans le cadre de leur activité principale. Si le système de signification en France et en Grèce, très comparable, est connu, le système de la signification en vigueur à Chypre présente des spécificités qu'il est intéressant de relever. A quelques rares exceptions près, les huissiers de justice doivent procéder à la remise de l'acte en la personne du destinataire uniquement. Tout autre mode de remise est interdit. Cela pose des problèmes pratiques très importants et préjudiciables au service public de la justice. Lorsque le destinataire d'un acte ne veut pas recevoir l'acte, il se cache, ou utilise divers stratagèmes. L'huissier de justice est alors tenu de procéder à de multiples tentatives, jusqu'à ce que son obligation de résultat soit satisfaite. En cas d'acte introductif d'instance, la tenue du procès est donc dépendante du résultat. Les délais s'étirent. L'œuvre de justice est bloquée.
Dimitri Tsikrikas, professeur à l'université d'Athènes, est intervenu pour rappeler l'importance de la signification, qui peut survenir par exemple pour interrompre une prescription. Pour lui, les droits des justiciables - c'est-à-dire ceux du demandeur et du défendeur - doivent être placés aux centre des préoccupations.
La deuxième table ronde s'est intéressée à la signification au travers des instruments européens. Un examen approfondi et comparatif des règlements 1393/2007 (signification), 805/2004 (titre exécutoire européen) et 1896/2006 (injonction de payer européenne) a été présenté sous l'angle de la signification pour ce qui concerne les règlements 805 et 1296. Le modérateur de l'atelier était Bernard Menut. Mathieu Chardon, 1er secrétaire de l'UIHJ a présenté les principes du règlement 1393 ainsi que le Vade Mecum qui lui est consacré et qui se trouve en accès libre sur le site de l'UIHJ. Dimitri Tsikrikas, a évoqué quant à lui les deux autres règlements, ainsi que le règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 (règlement Bruxelles I). Le professeur Tsikrikas a considéré que la signification était essentielle dans le cadre de ces trois instruments. L'huissier de justice assure le droit du défendeur à se défendre. Pour être efficace, il faudrait que, dans tous les cas, la signification soit réalisée par un huissier de justice et non par la voie postale, comme le permettent aujourd'hui les règlements communautaires. La signification est le point focal du procès équitable. Dimitri Tsikrikas a estimé qu'il existe une hiérarchisation possible des modes de signification sur le plan européen. A cet égard, la signification à la personne même du destinataire permet de garantir et de respecter les droits fondamentaux de la défense. Pour autant, dans l'intérêt des droits du demandeur et de l'ordre juridique, il faut permettre d'autres modes de signification, y compris une signification « fictive » dans un cadre très strict après avoir effectué toutes les recherches nécessaires pour tenter de remettre l'acte à son destinataire. Cela permet de ne pas bloquer le processus judiciaire.
Bernard Menut, chargé de la synthèse des travaux de cet atelier, a conclu que l'on se dirigeait vers une convergence des modes de signification.
L'information suffisante des usagers, élément nécessaire d'un procès équitable
La troisième table ronde s'intéressait à la Conférence de La Haye de droit international privé, la convention de La Haye du 15 novembre 1965 sur la signification des actes en matière internationale, et la signification.
Fanny Cornette, docteur en droit, consultante UIHJ et récente lauréate du prix de thèse de l'Ecole nationale de procédure de Paris pour sa thèse sur « La signification des actes dans le monde », a présenté la Conférence de La Haye de droit international privé. Depuis plusieurs décennies, l'UIHJ entretient des relations suivies avec cette organisation internationale centenaire. Fanny Cornette a précisé que 67 Etats appliquent la convention de La Haye de 1965. Elle a évoqué la genèse de cette convention : un premier texte du 14 novembre 1896, deux conventions (17 juillet 1905 et 1er mars 1954), puis le dépôt par l'UIHJ en 1960 d'un mémoire relatif à la signification des actes à l'étranger, mémoire qui a servi de base à la convention de 1965. Cette convention permet aux huissiers de justice et officiers ministériels de s'adresser directement les actes à signifier d'un pays à un autre (article 10 b). La rapidité et l'efficacité du processus est alors sans équivalent.
Guillaume Payan, maître de conférences à l'université du Maine (France) et consultant UIHJ, s'est attaché à comparer la signification des actes entre le règlement 1393 et la convention de 1965. Aux termes d'une analyse approfondie, Guillaume Payan a retenu qu'aucun des deux instruments ne prévoit de dispositions concernant la transparence patrimoniale. Pour lui, l'huissier de justice devrait avoir accès aux renseignements dans le cadre de sa mission de signification. A l'instar du professeur Tsikrikas, il a proposé de réfléchir à une hiérarchisation entre les modes de transmission et de signification des actes.
La quatrième table ronde était modérée par Efthimios Preketes. Elle s'intéressait à la signification, élément de preuve de l'ensemble des activités de l'huissier de justice. Bernard Menut a tout d'abord traité de la signification eu égard aux Lignes directrices élaborées par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), adoptées le 17 décembre 2009 par le Comité des ministres des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe. Notre confrère a rappelé que l'UIHJ avait participé activement au groupe de travail de la CEPEJ sur les lignes directrices. Le 1er vice-président de l'UIHJ a souligné que ce document fondamental scelle le standard de la profession d'huissier de justice et des procédures civiles d'exécution en Europe. S'agissant de la signification, le point 17 des lignes directrices prévoit que « l'information du justifiable à l'occasion de l'exécution d'une décision de justice ou d'un titre exécutoire ou d'un acte authentique ou autre apparaît comme un élément essentiel du droit de l'exécution. L'information suffisante des usagers est un élément nécessaire d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ». Le point 18 propose d'élaborer des modèles standards aux fins d'information des usagers, à tous les stades de l'exécution. En adoptant ces lignes directrices, les 47 Etats membres du Conseil de l'Europe reconnaissent que « Les agents d'exécution des Etats membres devraient pouvoir être chargés d'assurer un tel service. Dans ce but, les modalités relatives aux conditions de remise sécurisée des documents devraient être élaborées par les Etats membres » (point 20). De même, « Lorsque l'information fait naître des droits et des obligations, il est du devoir de l'agent d'exécution de veiller à ce que les justiciables soient suffisamment informés en temps utile » (point 21).
Jos Uitdehaag a ensuite présenté une vue concernant la signification dans les pays des Balkans et l'Europe du Sud Est. Le premier secrétaire de l'UIHJ a insisté sur le fait que, dans les tous les pays concernés, la notification par voie postale était considérée comme source de problèmes liée à l'insécurité de ce mode de remise. Cela est également vrai en matière d'exécution où les difficultés sont causées par une notification déficiente, ou par une absence de notification. Dans ce cas, de retards importants sont à déplorer, ainsi que des recours bien compréhensibles devant les juridictions par les justiciables qui s'estiment lésés dans leurs droits. Jos Uitdehaag n'a pas manqué de rappeler que ces dysfonctionnements donnent lieu régulièrement à des procès devant la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de l'article 6.1 de la convention européenne des droits de l'homme. Il a ensuite donné un compte rendu de la situation dans les pays de la zone : Albanie, Bosnie-Herzégovine, République Srpska, Croatie, Kosovo, ERY-Macédoine, Monténégro, et Serbie.
Enfin, Marcos Dracos, avocat, chargé d'enseignement à l'université de Nicosie, a présenté la situation à Chypre concernant le rôle de la signification en tant qu'élément de preuve de l'ensemble des activités de l'huissier de justice.
La cinquième table ronde était consacrée à l'intérêt de la circulation des actes et les exigences européennes. Guillaume Payan a rappelé que, selon l'article 65 du traité sur l'Union européenne, « Les mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, qui doivent être prises conformément à l'article 67 et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, visent entre autres à améliorer et simplifier le système de signification et de notification transfrontière des actes judiciaires et extrajudiciaires... ». Aux termes d'une démonstration d'une grande clarté, M. Payan a à nouveau avancé l'idée d'une hiérarchisation des modes de signification dans l'Union européenne.
Le sixième atelier avait pour thème « De la signification électronique à l'e-exécution ». Dionysios Kriaris a évoqué la signification électronique en Grèce. Bernard Menut a présenté le système français qui vient tout juste d'entrer en vigueur. Il n'a pas manqué de critiquer ce système dont il estime que sa complexité rendra son utilisation difficile en pratique. Puis Françoise Andrieux a évoqué l'exécution par voie électronique en Europe. Enfin, Ferenc Gasczki a présenté à son tour le système de signification électronique en Hongrie qu'il juge efficace et rapide.
A l'issue des présentations, un débat avec la salle s'est instauré au cours duquel plusieurs idées ont été échangées. En particulier, le professeur Tsikrikas a observé que, pour standardiser l'acte introductif d'instance, il fallait d'abord standardiser les règles de droit interne. Quoi qu'il en soit, en clôture du colloque, Leo Netten a déclaré que les travaux qui venaient de se tenir avaient contribué à enrichir le projet Stobra 2. Il a remercié l'ensemble des participants pour leur présence et l'intérêt qu'ils ont manifesté, et les intervenants pour la qualité de leurs présentations.
Tradition oblige, les nombreux participants ont poursuivi leurs débats au cours de la soirée où prédominait musique, danse et mets fins. Envoutés par le son du bouzouki et des danses traditionnelles, les débats prirent soudain un tour beaucoup moins juridique, au profit de grandes démonstrations d'amitié, de complicité et de confraternité qui sont l'apanage de l'UIHJ.