De G. à D: François Saint-Paul, ambassadeur de France en Croatie, Ana Lovrin ministre de la justice de Croatie, Jacques Isnard, président de l'UIHJ, Branko Hravtin, président de la Cour suprême de Croatie
Douze Etats européens et vingt-six intervenants
Ce colloque a été organisé dans le contexte de la future adhésion de la Croatie à L'Union européenne. Les autorités croates se sont en effet engagées dans la voie de réformes importantes de leur système judiciaire et de l'exécution des décisions de justice. Vers quel système va se tourner la Croatie pour être en conformité avec les exigences de l'Union européenne en matière d'exécution des décisions de justice ? C'est pour donner des éléments de réponse que vingt-six interventions présentées par des représentants de onze Etats de l'Union européenne (France, Belgique, Pays-Bas, Hongrie, Roumanie, Autriche, Allemagne, Croatie, Espagne, Slovénie, République tchèque) et la Macédoine se sont succédées à la tribune pendant deux journées d'une intensité rare où il n'a été question que de l'huissier de justice européen et de son avenir.
C'est à l'occasion d'une mission d'information organisée en juillet 2006 par l'UIHJ à Zagreb, avec l'aide de l'ambassade de France en Croatie, qu'a germé l'idée d'organiser ce grand colloque de droit international dans la zone de l'Europe du Sud-Est.
En effet, les pays de cette zone ne sont membres ni de l'Union européenne ni de l'UIHJ. L'heure était donc venue de présenter notre organisation et de proposer notre assistance, à commencer par la Croatie.
L'aide et le soutien de son excellence, François Saint-Paul, ambassadeur de France en Croatie, ont été déterminants dans l'organisation et la mise en place du colloque.
Une centaine de personnes, magistrats, représentants du ministère de la justice de Croatie, représentants d'ambassade, représentants de la Commission européenne, huissiers de justice, avocats, professeurs de droits et étudiants, se sont retrouvés pendant deux jours pour apprendre et échanger, à l'hôtel Palace, au centre de Zagreb, à quelques mètres de l'Ambassade de France. Les langues de travail étaient le français, le croate, l'anglais et l'allemand.
Œuvrer dans la bonne direction
Dans son allocution d'ouverture, M. Branko Hravtin, président de la Cour suprême de Croatie, a fait part de sa récente visite à la Chambre nationale des huissiers de justice de France. Il a souligné l'efficacité des huissiers de justice français et a loué le système de formation à la française ainsi que la motivation des formateurs de l'Ecole nationale de procédure, pour la plupart eux-mêmes huissiers de justice. M. Hravtin a salué l'appui des autorités croates dans l'organisation du colloque, signe d'une « détermination pour œuvrer d'une façon concrète dans la bonne direction ».
Dans un discours engagé, Jacques Isnard, a d'abord présenté l'UIHJ dont il est le président, forte de ses 63 pays membres et de ses 11 pays correspondants. Le but de l'UIHJ est de représenter, défendre et promouvoir la profession d'huissiers de justice et de développer la science juridique, particulièrement dans le droit judiciaire et le droit de l'exécution. Le président Isnard a tenu à adresser ses remerciements au ministère de la justice croate et à son ministre de la justice, Ana Lovrin, pour le soutien et les marques d'encouragements qu'il a bien voulu lui manifester, notamment en acceptant d'apporter son patronage aux travaux. Jacques Isnard a également remercié M. l'ambassadeur François Saint-Paul, pour son concours et son aide, et en exprimant toute sa reconnaissance à Mlle Caroline Socié, attachée de coopération européenne et administrative à l'ambassade de France en Croatie, qui s'est fortement investie dans les démarches collectives. Il a également souligné que la présence de M. Hravtin, président de la Cour suprême, honorait les travaux du colloque, « témoignage du lien qui unit ceux dont la mission est de dire le droit avec ceux dont la tâche est d'assurer l'effectivité de l'exécution des décisions de justice ». Enfin, Jacques Isnard a remercié l'ensemble des intervenants et des participants ainsi que le recteur Serge Guinchard qui a accepté de rehausser du prestige de sa haute autorité scientifique le rapport de clôture.
Le président a souligné l'engagement de l'UIHJ depuis le début des années 90 pour favoriser l'éclosion d'une profession d'huissier de justice à forme indépendante et libérale.
« Nous connaissons des Etats qui, avant l'adoption dans leurs pays du système libéral de l'huissier de justice, accumulaient plus d'un million de dossiers d'exécution et plusieurs années de retard dans l'exécution des jugements » se souvient-il. Et de poursuivre : « Pour les Etats-membres, a priori, hostiles au statut de l'huissier de justice, le dilemme se présentait sous deux formes :
- soit continuer à grever le budget de l'Etat avec le maintien d'agents d'exécution fonctionnaires,
- soit promouvoir la profession libérale et indépendante qui permettait de réduire les coûts pour l'Etat et de décharger le juge - dont la fonction est de dire le droit - du fardeau de l'exécution, tout en favorisant le développement d'une profession plus adaptée aux techniques modernes de l'informatique qui, de surcroît, privilégiait l'emploi et l'efficacité avec, en outre, la possibilité de percevoir des droits et des taxes au bénéfice du Trésor ».
Aujourd'hui, l'Europe ne comporte pas à proprement parler de corps structurés de professionnels du droit, mais compte désormais, dans bientôt 21 des 27 Etats-membres, des huissiers de justice à statut indépendant. Seuls l'Autriche, le Danemark, Chypre, la Finlande, l'Italie et la Suède restent, pour l'avenir, composés d'agents d'exécution de l'Etat. S'appuyant sur les critères développés par la Recommandation Rec(2003)17 du Conseil de l'Europe en matière d'exécution des décisions de justice, le président Isnard a présenté les cinq critères de l'huissiers de justice européen pour l'UIHJ :
- libéral,
- juriste de haut niveau (master en droit),
- doté d'une expérience professionnelle matérialisée par un stage approprié,
- astreint à une formation permanente,
- soumis à un régime disciplinaire, à des règles de déontologie et rattaché obligatoirement à un ordre national.
Enfin, s'adressant à Mme Lovrin, ministre de la justice, le président de l'UIHJ a conclu : « S'il advenait que le gouvernement croate décide d'adopter comme formule celle de l'huissier de justice libéral et indépendant, et cela j'en formule le vœu, alors trouverez-vous en l'UIHJ un interlocuteur prêt, comme notre organisation a toujours su le faire, à aider nos futurs confrères croates à devenir les égaux des autres huissiers de justice européens ».
Son excellence François Saint-Paul, ambassadeur de France en Croatie, a souligné que l'exécution efficace des décisions de justice est essentielle pour l'Europe. Elle constitue le corollaire d'une justice efficace qui doit répondre à l'attente des citoyens. M. Saint-Paul a ensuite rappelé que la réduction du backlog en matière d'exécution des décisions de justice est une question essentielle de l'adhésion à l'Union européenne. « La profession d'huissier de justice est largement répandue, y compris pour les pays hors des frontières de l'UE. Il ne s'agit pas de vendre des modèles mais de montrer l'intérêt que présente une profession au travers d'exemples concrets pour que chaque pays puisse choisir son modèle. Vous aurez l'occasion d'échanger avec des pays de 10 Etats de l'UE » a conclu l'ambassadeur.
Mme Ana Lovrin, ministre de la justice de Croatie, a déclarée qu'elle était persuadée que le colloque apporterait des réponses. « La satisfaction du créancier est importante car il est le dernier maillon de la chaîne. Il faut tenir compte des spécificités économiques et sociales des pays de l'Union européenne » a-t-elle indiqué. Tout en soulignant les progrès accomplis pour réduire le stock de décisions de justice inexécutées, la ministre de la justice a reconnu qu'en « suivant l'expérience des pays européens, la Croatie a l‘attention de modifier la profession d'huissier de justice en Croatie ». A cet égard, Mme Lovrin a remercié l'ambassadeur de France d'avoir fait venir à Zagreb les représentants des pays de l'Union européenne. Elle a également remercié l'UIHJ pour ses propositions de collaboration ainsi que la Chambre nationale des huissiers de justice de France de l'aide proposée.
Une diversité de statuts pour l'émergence de standards communs
En introduction au colloque, Mathieu Chardon (France), premier secrétaire de l'UIHJ et expert au Conseil de l'Europe, a évoqué la nécessité d'un huissier de justice européen. Dans un exposé en deux parties, Mathieu Chardon a voulu démontrer que l'huissier de justice européen constituait un nécessité tant d'un point de vue socio-économique que d'un point de vue juridique. Constatant à cet égard l'émergence d'un corps d'huissier de justice à caractère libéral et l'harmonisation de la profession en Europe, le premier secrétaire de l'UIHJ a conclu que ce sont ces deux aspects qui permettront d'assurer la pérennité de la profession sur un plan européen, pour le bénéfice des citoyens de l'Union européenne et du service public de la justice.
Une table ronde placée sous la modération de Francis Guépin (France), membre du bureau de l'UIHJ avait pour tâche de traiter de la diversité des statuts de la profession pour l'émergence de standards communs.
Marc Schmitz (Belgique), membre questeur du Comité de l'UIHJ, a présenté la profession d'huissier de justice en Belgique. Officier public et ministériel, l'huissier de justice belge est titulaire de sa charge et exerce sous une forme libérale. Il existe 520 huissiers de justice pour environ 10 millions d'habitants. L'huissier de justice ne peut exercer son activité que dans l'arrondissement judiciaire dans lequel il a été nommé et ne peut exercer une autre profession.
Marc Schmitz a indiqué que l'huissier de justice fournit « un éventail de prestations » parmi lesquelles la rédaction et la signification des actes, la saisie conservatoires des biens, l'exécution des décisions de justice, la vente publique des biens mobiliers, la répartition des fonds saisis, les constats, le recouvrement de créances, la médiation en matière de dettes.
Malgré son indépendance, l'huissier de justice est soumis à des règles de déontologie et d'éthique. Le contrôle disciplinaire relatif à l'huissier de justice est établi au sein des 27 chambres d'arrondissements. Au niveau civil, la Chambre nationale des huissiers de justice a souscrite différentes assurances collectives pour l'ensemble des huissiers de justice.
C'est ainsi qu'il existe non seulement une assurance responsabilité professionnelle qui couvre l'huissier de justice malveillant en cas de faute, mais également une assurance « indélicatesse » qui protège tout tiers contre le détournement de fonds qu'un huissier de justice pourra faire. Il s'agit ici d'une certaine garantie et qualité fournie par la profession de l'huissier de justice aux tiers. Et notre confrère de terminer : « Le meilleur jugement rendu par le meilleur juge est sans valeur s'il ne peut pas être exécuté de façon efficace ».
Puis ce fut le tour de Jos Uitdehaag (Pays-Bas), membre questeur du Comité de l'UIHJ et expert au Conseil de l'Europe, de présenter l'activité des huissiers de justice dans son pays. A l'instar de la Belgique, les Gerechtsdeurwaarder néerlandais sont des professionnels libéraux. Mais à la différence de la Belgique, la compétence territoriale est nationale et la publicité est permise. De nombreux huissiers de justice se sont regroupés sous forme de réseaux et la taille des offices est très importante, certaines d'entre eux comprenant une dizaine d'huissiers de justice et près de trois cents employés. L'une des activités principales est le recouvrement de créances, les huissiers de justice néerlandais occupant environ 60% de ce marché. Mais à côté de cette activité, ils exécutent les décisions de justice, signifient les actes et peuvent représenter les parties devant les juridictions.
Françoise Andrieux (France) a présenté l'huissier de justice français. A l'instar de ses confrères belges et néerlandais à qui il a servi de modèle, l'huissier de justice français est un professionnel libéral et indépendant, strictement contrôlé. Il existe en France environ 3300 huissiers de justice, dont 600 femmes, pour environ 62 millions d'habitants. Les huissiers de justice recouvrent chaque année environ 43 milliards d'euros et signifient environ 13 millions d'actes. Comme ses homologues belges et néerlandais, il est soumis à un tarif. Il exerce certaines de ses activités sous une forme monopolistique (signification, exécution) et certaines autres sous une forme concurrentielle (constat, recouvrement de créances, ventes aux enchères mobilières, conseils, ...). Françoise Andrieux a rappelé que la profession est auto régulée, notamment par le biais d'une assurance collective pour garantir le justiciable contre l'indélicatesse, l'erreur, la faute ou la négligence.
Adrian Stoïca (Roumanie), trésorier adjoint de l'UIHJ, a pris la parole pour présenter l'huissier de justice en roumanie. Il a indiqué que, dans le cadre de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne le 1er janvier 2007, les autorités roumaines ont essayé de trouver une efficacité dans tous les domaines pour s'adapter aux standards européens. A cet effet, le législateur roumain s'est largement inspiré des modèles français et belge pour l'exécution des décisions de justice. Il existe en Roumanie 520 huissiers de justice avec un statut privé organisés aux niveaux régional et national. La compétence ratione materie concerne le recouvrement amiable de créances, la signification des actes, les constats, les saisies bancaires, l'exécution forcée mobilière et immobilière directe et indirecte. Le trésorier adjoint de l'UIHJ a indiqué qu'en 2001, l'huissier de justice roumain a recouvré le statut privé et indépendant qu'il connaissait avant 1947.
La situation en Espagne a été décrite par Lorenzo Christian Ruiz Martinez, vice-président du Conseil général des Procuradores. La profession est actuellement très différente des autres pays européens. Pour 44 millions d'habitants, l'Espagne comprend 9500 Procuradores, dont 65% sont des femmes. Leur principale activité est la représentation des parties et la postulation. « Quel est le lien avec l'UIHJ ? » se demande M. Ruiz Martinez. « La totalité des procédures espagnoles sont dirigées par l'avocat mais nous dépendons des fonctionnaires judiciaires pour que les affaires se fassent, surtout les actes de notification et de signification. Cela donne beaucoup de retard. 70% des notifications ne sont pas faites par les fonctionnaires. Cela parce que l'on utilise la poste. Les fonctionnaires de justice ne sont pas capables ni ont les moyens nécessaires pour faire toutes les notifications et significations » regrette notre confrère. Dans l'actualité, une réforme des procédures civiles est en cours et l'intervention des Procuradores y est beaucoup plus présente. L'exécution se fait au travers le juge. Le système oblige à déposer une requête où le Procurador a une grande intervention, surtout avec la communication et les actes de procédure. Il intervient également dans les saisies bancaires, des salaires, le dépôt de biens saisis et les ventes aux enchères. « Nous attendons que cette loi soit votée » a conclu le vice-président du Conseil des Procuradores d'Espagne.
Les huissiers de justice français treize fois plus efficaces que les Gerichtsvollzieher autrichiens ?
Bernard Menut, secrétaire de l'UIHJ et expert à l'Union européenne a ensuite dressé un tour d'horizon de la formation de l'huissier de justice en Europe. En particulier, il a mis l'accent sur l'Ecole nationale de procédure de France (ENP), créée en 1960 par la profession d'huissier de justice. Après avoir indiqué quels étaient les objectifs de la formation professionnelle, le secrétaire de l'UIHJ a présenté de façon précise et vivante l'organigramme de l'ENP et de ses particularités. Il a ensuite décrit les différentes formations proposées par l'ENP, tout en insistant sur l'importance de la formation pour les huissiers de justice et leur collaborateurs, tant initiale que continue. Il a terminé son intervention en présentant les systèmes de formation en vigueur en Belgique, aux Pays-Bas et en Pologne.
L'atelier suivant devait traiter de l'évolution de la profession d'huissier de justice en Europe. L'atelier était placé sous la modération de Marc Schmitz (Belgique), questeur du Comité de l'UIHJ.
Anton Lojowski (Autriche), Gerichtsvollzieher, a présenté la situation professionnelle en Autriche. Il existe 350 huissiers de justice (Gerichtsvollzieher) en Autriche. Ils sont placés sous la surveillance et la gestion d'un Deskpool constitué de juristes et de commissaires régionaux. Compte tenu du volume des affaires, il est pratiquement impossible de respecter les exigences en matière de traitement des dossiers, c'est-à-dire accomplir les premières démarches dans le délai de quatre semaines suivant la réception de la demande. Les premiers contacts avec le débiteur demandent en effet entre deux et trois mois. En 2005, 320 millions d'euros ont été recouvrés par les Gerichtsvollzieher, dont 104 millions concernant le ressort de la juridiction suprême de Vienne. Notre confrère a constaté que ce chiffre était très faible en considération des sommes pouvant être recouvrées par les huissiers de justice privés. Si l'on compare les chiffres à population égale, les huissiers de justice autrichiens recouvrent environ 13 fois moins que les huissiers de justice français !
Hans Eckhart Gallo (Allemagne), président de la Chambre fédérale des Gerichtsvollzieher d'Allemagne a fait le point sur l'évolution de la profession dans ce pays. Globalement confrontés aux mêmes problèmes qu'en Autriche, les Gerichtsvollzieher ont pris leur destin en mains, soutenus par l'UIHJ, et ont engagé une vaste réforme de la profession pour aboutir à une revalorisation de la profession grâce à la mise en place d'un système libéral privé et indépendant. A l'heure du colloque, le projet de loi devait passer devant le Bundesrat où il a été adopté. Il semblerait même que le processus de mise en place de l'huissier de justice libéral en Allemagne soit plus rapide que ce qui avait été initialement prévu.
Après ces nouvelles réjouissantes, Juraj Podkonicky (République tchèque), président de la Chambre nationale des huissiers de justice de la République tchèque, a présenté sa profession et ses récentes évolutions. Les huissiers de justice tchèques ont adopté un statut libéral depuis 2001, basé sur le modèle français. Ils sont nommés par le ministère de la justice. En plus des activités habituellement exercées par les huissiers de justice libéraux (exécution, signification, recouvrement de créances, constats, conseils juridiques, etc.) ils peuvent procéder à la vente aux enchères publiques des immeubles et dresser des actes de vente de biens meubles corporels et incorporels. Quant aux résultats, laissons parler les chiffres. Il a été réalisé en 2006 soixante-dix fois plus d'exécutions qu'en 2001, année de la mise en place de la nouvelle profession !
Ces résultats spectaculaires sont également constatés en Hongrie, comme nous l'a expliqué Levente Zoltan, secrétaire général de la Chambre nationale des huissiers de justice de Hongrie. A l'instar de la Roumanie, la profession d'huissier de justice indépendant et libéral n'est pas une création récente. Ce n'est qu'en 1955 que la profession avait été fonctionnarisée. Devant l'inefficacité du système et en prévision de l'entrée de la Hongrie dans l'Union européenne, ce pays a été le premier des 10 pays qui ont rejoint l'UE en 2004 à avoir changé le statut des agents chargés de l'exécution des décisions de justice. C'est en 1995 que les huissiers de justice hongrois ont ainsi commencé leurs activités en qualité d'huissiers de justice libéraux. « Après la libéralisation de la profession d'huissier de justice, le nombre des dossiers a augmenté à une façon inimaginable. Le nouveau système a donné autant de travail aux huissiers de justice que l'ancien en a assuré en six ans. La nouvelle organisation a permis une croissance de l'efficacité qui est passée de 20 à 70% en cinq ans » a précisé Levente Zoltan. Concernant la formation, le secrétaire général de la chambre hongroise a indiqué qu'au niveau national, le mouvement directeur principal actuel est le développement du système de formation pour assurer aux huissiers de justice une formation continue.
Enfin, les participants ont pu écouter un court exposé sur la profession d'huissier de justice en Macédoine. GoranToshevski, président de la Chambre nationale des huissiers de justice de Macédoine, a indiqué qu'il existe actuellement 49 huissiers de justice dans ce pays qui compte quelques 2 millions d'habitants. Les réformes entreprises il y a quelques années ont porté leurs fruits puisque la profession a acquis depuis neuf mois un statut libéral. « La réforme de la justice s'est imposée à cause de la lenteur dans l'exécution. Il était indispensable de procéder aux réformes, y compris d'amender la loi sur les huissiers de justice. Le résultat est une résolution rapide des dossiers et je peux dire que jusqu'à présent le taux d'efficacité est proche de celui des autres Etats où ce système a été mis en place » a déclaré M. Toshevski. Selon ses dires, les procédures duraient plus de dix ans. Maintenant, les dossiers qui ont été envoyés pour exécution ont été traités dans l'ordre et rapidement. Un dossier est traité en trois à quatre mois. « Les résultats de la réforme et l'émergence des huissiers de justice privés sont évidents » estime-t-il.
Mettre en relief le modèle libéral
L'atelier suivant était placé sous la modération de Mathieu Chardon. Tatjana Krivec (Slovénie), présidente de la Chambre nationale des huissiers de justice de Slovénie, a évoqué la situation dans son pays et les difficultés auxquelles sont confrontés les professionnels de l'exécution. Les huissiers de justice exercent en Slovénie sous une forme indépendante depuis 2000. Cependant, à l'inverse des autres pays où la profession libérale a été mise en place, les huissiers de justice ont une compétence très limitée : saisie et vente des biens meubles et saisie des immeubles qui ne figurent pas sur les registres immobiliers, reprise d'enfants et expulsions. Les autres procédures sont réalisées par le juge : saisies bancaires, saisies des rémunérations, saisie et ventes des immeubles. Les huissiers de justice de peuvent pas effectuer des constats ou des ventes aux enchères volontaires, ni mettre en place des échéanciers de paiement ou donner des conseils juridiques. Un colloque organisé par l'UIHJ doit se tenir les 12 et 13 avril 2007 à Ljubljana pour tenter de sensibiliser les autorités sur l'intérêt pour le pays de confier aux huissiers de justice des missions plus étendues et sur le rôle de l'huissier de justice sur un plan européen.
Concernant la Croatie, le professeur Alan Uzelac, professeur de droit à l'Université de Zagreb et membre de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) a présenté le régime de l'exécution et l'administrateur de la profession dans ce pays.
Le professeur Uzelac a indiqué que le Progress Report de la CEPEJ pour 2006 considère que le retard dans l'exécution des décisions de justice constituait le problème principal pour 93% des juridictions croates. « La Croatie doit considérer de retirer l'exécution des décisions de justice des mains des juridictions pour les confier à un corps spécialisé investi d'une parcelle de l'autorité publique » peut-on lire dans ce rapport. Puis Alan Uzelac a décrit les trois grands systèmes de fonctionnement de l'exécution forcée dans les pays européens : système administratif, système d'huissiers de justice et système juridictionnel. Il a ensuite présenté les avantages et les inconvénients de chaque système. Concernant la formation, il considère que « la condition préliminaire est que l'huissier de justice ait la même formation que les juges et les notaires ». Et le professeur Uzelac de poursuivre : « Il ne suffit pas que le candidat ait accompli ses études juridiques. Il faut une plus value en tenant compte de notre tradition. Il faudrait confier à ce professionnel la compétence d'entreprendre certaines actions sans le contrôle du juge. A cet égard, ce qui s'est passé en Slovénie est plutôt négatif ». Et de conclure : « C'est peut être le moment de mettre en relief le modèle dont a parlé ».
A sa suite, Jos Uitdehaag a dressé un état général de la profession d'huissier de justice dans l'Europe du Sud Est. Au travers des actions de la Commission européenne et du Conseil de l'Europe, notre confrère a évoqué successivement la situation en Albanie, en Croatie, en Macédoine, en Bulgarie, en Bosnie & Herzégovine, en Serbie et au Monténégro. Jos Uitdehaag a constaté que parmi les pays de la zone non membre de l'Union européenne, seule la Macédoine avait créé la profession d'huissier de justice libéral.
Un juge de l'exécution multiple
Puis, dans l'atelier suivant, placé sous la modération de Francis Guépin, il a été question du rôle du juge de l'exécution dans différents pays européens. En France, Françoise Andrieux a expliqué que le juge de l'exécution dispose de pouvoirs complets basés sur quatre principaux chefs :
- les difficultés d'exécution
- les autorisations et contentieux des mesures conservatoires
- les demandes en réparation des dommages consécutifs à l'exécution ou l'inexécution
- le contentieux du surendettement
A sa suite, Roger Dujardin (Belgique), vice-président de l'UIHJ, a évoqué le juge des saisies en Belgique. « Dans un Etat de droit démocratique, on ressent l'exécution forcée des décisions judiciaires définitives et autres titres exécutoires, comme une atteinte à la vie privée et comme une intervention dans la sphère juridique du débiteur concerné. Cette exécution sous contrainte, qui ressortit du pouvoir exécutif, doit se faire sous le contrôle du pouvoir judiciaire. C'est la raison pour laquelle cette tâche de contrôle est confiée à un juge spécialisé, à savoir le juge des saisies » a-t-il déclaré. Le vice-président de l'UIHJ a ensuite donné des détails sur la compétence générale et spéciale de ce magistrat. Il connaît par exemple de toutes les demandes qui ont trait aux saisies conservatoires, aux voies d'exécution, au règlement collectif des dettes et aux interventions du Service des créances alimentaires. Il est également compétent en matière de mesures de réparation en matière d'urbanisme, de pollution de la mer ou encore de saisie dans les eaux territoriales et dans la Zone économique exclusive. En outre, le juge des saisies a un droit de contrôle sur le déroulement des procédures de saisie conservatoire ou de saisie-exécution et sur les officiers publics instrumentant, à savoir les huissiers de justice.
Lorenzo Christian Ruiz Martinez a poursuivi ce tour d'horizon avec le juge des procédures en Espagne. Celui-ci a une compétence beaucoup plus étendue que ses homologues français ou belges puisque c'est lui qui dirige, décide et contrôle tout ce qui concerne l'exécution des décisions de justice. Il est le pivot central de l'exécution des décisions de justice, ce qui conduit malheureusement à une complexité et une lourdeur qui rendent inefficace le système.
Pour finir, Stephan Mross (Allemagne), Gerichtsvollzieher, ancien Rechtspfleger, a évoqué le rôle du Rechtspfleger en Allemagne. Ces agents disposent d'un certain pouvoir juridictionnel. Il est compétent pour autoriser les saisies conservatoires. Il surveille les démarches de l'huissier de justice mais uniquement à la demande d'une partie.
L'huissier de justice, élément essentiel de l'Etat de droit
Le dernier atelier, placé sous la modération de Marc Schmitz, comprenait en premier lieu l'intervention de Mme Slavica Garac (Croatie), juge à la cour régionale de Zagreb, a présenté les réformes du système de l'exécution en Croatie et les modifications législatives de 2005 sur la loi sur l'exécution. « Nous souhaitons que les huissiers de justice aient un statut au sein de l'exécutif et soient séparés du pouvoir judiciaire » a indiqué Mme Garac. « L'un des problèmes les plus importants, a-t-elle indiqué, est le retard dans l'exécution des décisions de justice. Cela est dû au fait que l'affaire est considérée comme terminée, non pas avec le jugement, mais uniquement une fois l'exécution terminée. Avec la mise en place d'un système d'exécution forcée, avec un huissier de justice agréé qui serait séparé du pouvoir judiciaire, cela contribuerait d'augmenter l'efficacité ».
Bernard Menut a ensuite expliqué en quoi l'huissier de justice est un élément essentiel de l'Etat de droit. Maniant les concepts avec l'aisance qu'on lui sait, le secrétaire de l'UIHJ a développé les thèmes de l'importance de la justice comme élément essentiel de l'Etat de droit, et de l'exécution des décisions de justice comme élément du procès équitable. Tirant ses arguments des expectations du Conseil de l'Europe et des critères d'exigence de l'Union européenne, il a conclu son intervention en démontrant que l'huissier de justice est un élément essentiel de l'Etat de droit, d'une part en contribuant à la bonne administration de la justice et d'autre par la reconnaissance de la protection des huissiers de justice consacrée dans des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, tel l'arrêt Pini c/ Roumanie du 22 juin 2004. « L'évolution n'est pas pour autant achevée, car l'exécution d'une décision de justice est illusoire si l'agent en charge de cette exécution ne dispose pas des moyens appropriés pour mener les investigations nécessaires à l'efficacité de son action. En outre, l'agent d'exécution doit disposer des outils de procédure qui permettent une action efficace et rapide dans le respect de la dignité du débiteur-défendeur » a conclu Bernard Menut.
En clôture des interventions, Roger Dujardin a ensuite présenté les perspectives d'avenir pour la profession. Le vice-président de l'UIHJ a appelé ses confrères à faire preuve de « corporatisme positif », pour leur permettre « d'aborder de manière équilibrée et en tant que groupement professionnel uni les défis de notre société moderne ». Le droit tel qu'il est formulé dans une loi ou une norme, tel qu'il est mis en œuvre par les juristes praticiens et tel qu'il est appliqué par un juge, doit, en partant de l'idée fondamentale d'apprécier équitablement les intérêts de toutes les parties en présence, toujours être ramené à sa raison essentielle d'existence : celle de servir, d'être un moyen utile de régler et d'organiser la coexistence des hommes et des femmes. C'est de manière impartiale que l'huissier de justice veillera à ce que les titres exécutoires reçoivent l'exécution qu'ils méritent, de manière correcte et nuancée, en tenant compte de l'intérêt du créancier et de la situation du débiteur, comme par exemple de sa dignité humaine et du respect de sa vie privée. De nombreuses nouvelles missions et perspectives ne peuvent se défendre pour l'huissier de justice du 21e siècle, que dans la mesure où ces professionnels constituent un corps d'élite de haut niveau qui respecte une éthique professionnelle et une déontologie strictes. Alors, « Pour qui voit l'avenir clair et avec ouverture, les perspectives d'avenir sont très favorables » a terminé Roger Dujardin.
L'huissier de justice libéral, garant de l'Etat de droit
C'est à Serge Guinchard, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2), ancien recteur des académies de la Guadeloupe et de Rennes, directeur honoraire de l'Institut d'études judiciaires « Pierre Raynaud », doyen honoraire de la Faculté de droit de Lyon, que revint l'honneur et le privilège de conclure le colloque de Zagreb en livrant son point de vue sur le thème de ces deux journées de travaux et ses conclusions sur les interventions qui se sont enchaînées à un rythme endiablé. Après avoir remercié les hautes autorités de leur présence et de leur soutien et avoir salué l'UIHJ pour avoir eu l'idée de ce colloque et l'ensemble des intervenants pour leurs contributions, le professeur Guinchard a fait part de son plaisir d'être à Zagreb. « Je ne suis pas venu à Zagreb contraint et forcé, mais avec le réel plaisir intellectuel de découvrir, d'apprendre et de vous faire part de mes conclusions et de quelques certitudes » a-t-il indiqué. Sur le choix d'un professeur d'université pour assurer un rapport de synthèse, le doyen Guinchard a précisé qu'il était un gage d'impartialité, « votre garantie à vous autorités professionnelles, qui aurez à choisir un mode d'exercice de la profession d'agent d'exécution des décisions de justice et autres titres exécutoires, que le choix est éclairé et conforme aux standards européens ». Car, pour le professeur Guinchard, le bon agent d'exécution pour l'Europe ne peut être qu'un huissier de justice - l'euro-huissier- qui, tout à la fois, est le garant de l'Etat de droit et offre des prestations de qualité par la garantie de sa compétence et de son indépendance. « Les huissiers de justice sont les garants de l'effectivité des droits des citoyens. Ce sont eux qui, au-delà des garanties formelles reconnues par l'Etat aux citoyens, rendent réels, effectifs, les droits de ces mêmes citoyens » a-t-il analysé. Il ne suffit pas, pour qu'un Etat de droit existe, que les droits des citoyens soient garantis formellement par la Constitution, par les textes de lois. Encore faut-il que l'Etat fasse tout ce qui est son pouvoir pour assurer cette effectivité. Aussi dans la réalisation de cette effectivité, les huissiers de justice ont un rôle essentiel à jouer. Ils offrent en effet une double garantie : la garantie d'un professionnel libéral dans la délivrance d'une information sécurisée, et la garantie d'un professionnel libéral dans l'exécution effective de la décision du juge. Pour le professeur Guinchard, « seul un professionnel libéral, notamment parce qu'il est rémunéré directement par l'une des parties et non par l'Etat, peut garantir l'exécution effective de la décision du juge ». Il a un rôle essentiel à jouer pour assurer l'effectivité de cette exécution. C'est lui qui constitue l'interface entre le citoyen et le juge. Sans lui, l'effectivité de la justice ne peut pas être assurée et cela quel que soit le niveau de développement économique atteint dans nos Etats respectifs. « Voilà pourquoi les huissiers de justice sont indispensables à l'édification d'un Etat de droit » a démontré le professeur Guinchard au terme de la première partie de son intervention. Mais les huissiers de justice doivent offrir aux citoyens des prestations de qualité, grâce à leur compétence et à leur indépendance. La compétence des huissiers de justice se décline sur trois niveaux : dans le recrutement et la formation initiale, dans la formation permanente et dans la sanction de cette compétence par la mise en œuvre de la responsabilité de l'huissier de justice. Pour ce qui concerne la garantie d'indépendance, « L'indépendance de l'huissier de justice libéral, c'est d'abord une indépendance à l'égard de tous les pouvoirs, y compris le pouvoir judiciaire » a estimé le recteur Guinchard. Et d'approuver le président de l'UIHJ lorsqu'il déclare que « le juge doit être libéré des contraintes de l'exécution et son rôle circonscrit à l'examen des requêtes qui lui sont présentées et à rendre les ordonnances. Il doit aussi trancher les difficultés qui lui sont soumises. Quant à la conduite des opérations de l'exécution, elle doit être laissée à l'appréciation des parties qui doivent pouvoir opter pour la mesure qui leur semble la plus appropriée sans devoir en référer à aucune juridiction ». Enfin, l'indépendance de l'huissier de justice libéral doit aussi s'apprécier par rapport aux parties : il doit leur offrir des garanties. Celles-ci se traduisent d'une part par des exigences déontologiques et d'autre part par une garantie collective d'indépendance mise en place par les chambres d'huissiers de justice, « à la fois le glaive et le bouclier des huissiers de justice ». En conclusion, pour le professeur Guinchard, les huissiers de justice sont les garants de l'Etat de droit. « Il n'y a pas de recettes miracles, de solutions prêtes à être importées. Il n'y a que des solutions que chaque pays doit bâtir, lui-même, en s'instruisant des exemples des autres mais en conservant ses racines. Il n'y a qu'un principe qui s'impose : la Justice est une valeur universelle, commune à la communauté des Etats et les huissiers de justice sont au service de leurs concitoyens, de cette Justice. C'est cela l'euro-huissier » a-t-il conclu.
Il restait au président Isnard de remercier le professeur Guinchard pour ce véritable manifeste en faveur de l'huissier de justice libéral et de remercier également le ministère de la justice de Croatie pour son soutien ainsi que le professeur Uzelac et l'ensemble des participants, et tout particulièrement l'ambassade de France en Croatie et son ambassadeur, François Saint-Paul. En clôture de ce colloque historique, le président Isnard a assuré une nouvelle fois le soutien de l'UIHJ aux autorités croates pour les réformes entreprises dans le domaine de l'exécution des décisions de justice en vue de son accession à l'Union européenne et dans la mise en place d'un professionnel répondant aux exigences de l'huissier de justice européen.