L'endettement, un problème social
C'est à l'initiative de Jacques Isnard, ancien président de l'UIHJ, que nos confrères et consœurs des pays nordiques (Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Norvège et Suède) ont décidé à partir de 1999 de se réunir tous les deux ans afin de se rencontrer, d'échanger et d'apprendre. Cette année, c'était au tour de la Norvège de recevoir ses homologues nordiques. Comme à l'accoutumée, l'UIHJ était invitée à participer aux travaux. Notre organisation était représentée par son premier secrétaire, Mathieu Chardon. Près de cent huissiers de justice des pays scandinaves (Danemark et Iles Féroé, Finlande, Norvège et Suède) se sont retrouvés dans l'amphithéâtre du musée de Bryggen, en plein cœur de la belle ville de Bergen. Classée au patrimoine culturel mondial de l'Unesco, ville européenne de la culture située à l'ouest de la Norvège, Bergen est la plate-forme idéale pour découvrir les fjords.
Notre consœur Nicola Hesslen, ancienne secrétaire permanente de l'UIHJ pour les pays nordiques et aujourd'hui à la retraite, était également invitée. Le séminaire était parfaitement organisé par Jonny Nausten, président de l'association des Namsmann de Norvège. Le thème central était : « L'endettement, un problème social ? ». L'ambiance était studieuse mais également très amicale et détendue. Malgré un climat politique tendu en raison des événements dramatiques qui ont frappé la Norvège récemment, Knut Storberget, ministre de la justice, a tenu à venir ouvrir personnellement les travaux. Cette attention a été particulièrement appréciée par les huissiers de justice norvégiens qui travaillent étroitement avec la police, et par l'ensemble des participants. M. Storberget a insisté sur l'importance de la coopération au niveau de la police, surtout après la tragédie récente, tant au plan interne qu'au niveau des pays scandinaves. La sécurité juridique est fondamentale, a estimé le ministre de la justice. Cette sécurité juridique, a-t-il poursuivi, implique que les débiteurs payent leurs dettes. Sans cela, la société ne peut pas fonctionner normalement. On assiste aujourd'hui à un changement fondamental des mentalités. Aujourd'hui, il est normal d'avoir des dettes. Pour autant l'endettement contribue à appauvrir durablement une partie de la population, a-t-il regretté. Comme partout, il existe en Norvège de plus en plus de différences entre les riches et les pauvres. Les banques et les sociétés de crédit ont tendances à pousser les personnes à s'endetter de façon inconsidérée. Le ministre de la justice a estimé qu'il était important d'éduquer les jeunes et la population aux risques liés à la surconsommation et à l'endettement. S'agissant des huissiers de justice norvégiens, Knut Storbeget a fait part de sa satisfaction quant au travail qu'ils accomplissement au quotidien, en prenant en considération la situation du débiteur et en accordant des délais de paiement adaptés à chaque cas.
Bjorn-Anton Knold, vice-président de la société de recouvrement Lindorff, a dressé un état des lieux très complet de la situation du recouvrement de créances dans les pays scandinaves. Il a souligné en particulier l'augmentation depuis quelques années du nombre de ventes aux enchères immobilières et du taux d'endettement des personnes âgées. Il a indiqué que lorsque le recouvrement amiable débouche sur la prise d'un titre exécutoire, la procédure la plus utilisée est la saisie des rémunérations ou des pensions.
Christian Poppe, chercheur, professeur de sciences politiques, membre de l'institut national de statistiques de Norvège, a dressé un tableau très complet de la façon dont les Norvégiens dépensent leur argent. A sa suite, Shabana Reeman, actrice et dramaturge norvégienne, a fait part de son expérience et de celle de ses parents face à une situation de surendettement qu'elle a vécue. Son talent comique a dominé son intervention, malgré son caractère foncièrement tragique.
Christian Poppe a ensuite dressé un état des lieux du surendettement en Norvège. Il a précisé que le surendettement touche aujourd'hui également les personnes âgées mais surtout les jeunes. Cette couche de la population prend de plus en plus de crédits pour les achats de tous les jours, les loisirs et les vacances, une situation préoccupante, selon lui.
Les risques liés au surendettement
Le rédacteur en chef de la revue Megafon qui est diffusée à Bergen pour venir en aide aux personnes en difficulté, et notamment aux drogués, a ensuite évoqué l'endettement sous son aspect le plus noir. C'est le cas lorsqu'il est lié à diverses addictions (drogues, alcool). Ce phénomène engendre de grands dangers : déchéance physique et psychique, désocialisation, perte de domicile, ... Dans la même veine, Richard Ahlström, professeur d'université en psychologie (Suède), s'est penché sur la question des dettes sur un plan global et de ses conséquences sur la santé. Pour souligner la gravité du problème, M. Ahlström a présenté les résultats d'une étude sur le suicide. En général, une personne qui envisage de se suicider et qui passe à l'acte regrette aussitôt son geste au moment fatidique. Mais l'étude tend à démontrer que cela n'est pas le cas lorsque la personne est surendettée. Il a précisé que, sur le plan européen, environ 15% de la population est surendettée. Le surendettement doit être considéré comme un fléau. Il constitue un facteur avéré de dégradation de la santé des personnes. Un débat a suivi ces deux interventions, animé par Egil Rokhaug, conseiller auprès du ministère des affaires sociales de Norvège. Il a été en particulier évoqué l'idée d'un fichier centralisé des personnes présentant un risque de surendettement, notamment en raison du nombre de crédits contractés.
Roger Schjerva, secrétaire d'Etat au ministère des finances a donné un aperçu de la situation financière dans les pays scandinaves.
Les séminaires nordiques sont l'occasion pour nos confrères de se réunir en ateliers pour débattre des thèmes retenus. Quatre ateliers furent donc organisés avec l'ensemble des participants et les comptes rendus furent présentés sous forme de tables rondes.
Mathieu Chardon a salué les confrères et les consœurs présents au nom du président de l'UIHJ. Il a rappelé combien Leo Netten était attaché aux séminaires nordiques, lesquels ont servi de modèle aux autres réunions régionales au sein de l'UIHJ. Le 1er secrétaire de l'UIHJ a brièvement présenté les travaux du prochain congrès international des huissiers de justice dont il est le rapporteur général. Il a rappelé que le congrès se tiendra à Cape Town (Afrique du Sud) la première semaine de mai 2012 et a invité les participants à y venir nombreux.
Les séminaristes ont été reçus par le maire de Bergen dans les magnifiques salons de la mairie, vieux de 750 ans et admirablement conservés. Un dîner a également été donné au mont Floyen, auquel on accède par funiculaire et jouissant d'une vue imprenable sur Bergen, ses montagnes et ses fjords. Pendant la soirée, particulièrement conviviale, les quatre pays ont tous montré leur reconnaissance à Nicola Hesslen, qui a été le véritable moteur des séminaires nordiques, et l'ont chaleureusement remercié pour son investissement total durant toutes ces années.
Les huissiers de justice sont loin d'être des exécutants aveugles. Ils sont au cœur de la vie sociale. Ils tiennent compte des nombreux problèmes sociétaux dans l'exercice quotidien de leurs activités. Ce séminaire, géré de mains de maître par Jonny Nausten, a démontré une fois de plus, au travers de son thème, combien la profession d'huissier de justice était sensible aux trop nombreuses difficultés auxquels nos concitoyens sont malheureusement confrontés.