Les intervenants : Marina Shtatina, Alexey Kojemiakov, Elisabeth Donovan, Fedor Filippov, Igor Zvecharovsky, Frank Walterson, Mathieu Chardon
Un séminaire en deux temps
Quelques semaines après le séminaire de Kaluga (voir notre article dans ce magazine), le Conseil de l'Europe, sous la férule d'Alexey Kojemiakov, chef du Service de droit privé à la Direction générale I (affaires juridiques) du Conseil de l'Europe, a participé à un important séminaire sur la formation des huissiers de justice en Russie au siège de l'Académie de droit de la Fédération de Russie (ADFR) à Moscou. A l'instar des précédents, ce séminaire entre dans le cadre du programme joint entre la Commission européenne et le Conseil de l'Europe pour la Fédération de Russie. Trois experts internationaux ont été sollicités par le Conseil de l'Europe : Mathieu Chardon, huissier de justice, membre du Comité de l'UIHJ, dont c'était la sixième mission en Russie depuis 2000 pour le Conseil de l'Europe, Elisabeth Donovan, Barrister à Dublin (Irlande) et Frank Walterson, conseiller senior au ministère des Finances de Suède.
Ce séminaire s'est déroulé en deux temps. La première journée a consisté en un ensemble de présentations magistrales suivies de débats dans l'un des vastes amphithéâtres de l'ADFR à Moscou, devant une centaine de participants, composée d'huissiers de justice chefs de service des différentes régions de la Fédération de Russie, de magistrats et professeurs d'université. Dans son allocution d'introduction du séminaire, Alexey Kojemiakov, a insisté sur l'importance de la formation pour les huissiers de justice comme garante d'une exécution des décisions de justice efficace et équitable. Il a rappelé à cet égard la recommandation Rec(2003)17 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres adoptée le 9 septembre 2003.
Recommandation 17, déontologie et formation
Igor Zvecharovsky, recteur de l'ADFR, était particulièrement heureux d'accueillir au sein de son académie les huissiers de justice dont il a rappelé qu'elle était en charge de la formation.
Elisabeth Donovan a présenté en détail la recommandation 17 du Conseil de l'Europe et a insisté en particulier sur le point IV.8, lequel dispose que les agents d'exécution devraient suivre une formation initiale et continue conformément à des buts et des objectifs clairement définis et structurés.
Frank Walterson a poursuivi en évoquant les principes et les standards concernant l'attitude des huissiers de justice dans le cadre de l'exécution des décisions de justice.
Mathieu Chardon a ensuite présenté les principes, l'organisation et les méthodes de formation pour les huissiers de justice et leur personnel. Il a en particulier présenté l'Ecole nationale de procédure française, reconnue sur le plan international dans le domaine de la formation des employés d'huissiers de justice et des candidats huissiers de justice et des nombreux cursus qu'elle offre à ses étudiants.
Une table ronde s'est ensuite tenue où de nombreuses questions très pertinentes ont été posées sur la profession d'huissier de justice à caractère libéral en Europe et en particulier en France et dans les pays du Benelux, témoignant du grand intérêt de nos confrères russes pour un statut adopté par toujours plus de pays européens.
Le séminaire s'est poursuivi par une très intéressante intervention de Mme Marina Shtatina, chef de département à la Direction de la justice, sur les éléments psychologiques de management relatifs aux activités des huissiers de justice en chef. La journée s'est achevée après une nouvelle table ronde sur les méthodes de formation pour la profession.
Le développement de la formation pour les huissiers de justice russes
La seconde journée s'est déroulée en comité plus restreint. Une vingtaine de participants, dont les experts du Conseil de l'Europe et M. Kojemiakov, se sont retrouvés au siège de l'ADFR pour débattre des divers problèmes rencontrés par les chefs huissiers des différentes régions de la Fédération de Russie. L'ADFR s'occupe de la formation des huissiers de justice depuis 1998, date à laquelle le Service de l'exécution a été séparé des tribunaux. Le service des huissiers de justice dans la Fédération de Russie agit dans deux domaines d'activités : l'exécution des décisions de justice et titres en forme exécutoire, et le maintien de l'ordre dans les tribunaux, y compris amener physiquement les justiciables à comparaître devant le juge. Actuellement, les formations se déroulent sur une période deux semaines, mais il apparaît que cela n'est pas suffisant. M. Alexander Gerasimov, chef du Département du service de l'exécution, est chargé de l'élaboration des programmes de formation et souhaiterait mettre en place des programmes d'une durée beaucoup plus longue, ce qui n'est pas possible pour le moment pour des raisons d'organisation et d'ordre budgétaire. Quelques centres de formation régionaux existent cependant mais, pour tenir compte de la taille gigantesque du pays, il faudrait en mettre en place dans chaque région, ce qui demande du temps et nécessite un financement important. Mais, dans chaque région, des séminaires de formation ont déjà été mis en place. Rappelons qu'il y a actuellement environ 45 000 huissiers pour l'ensemble de la Fédération de Russie et qu'il est prévu de doubler ce chiffre ! De nouvelles formations sont à l'étude et M. Gerasimov a engagé une discussion avec les experts du Conseil de l'Europe à ce sujet. Il a indiqué qu'il n'était pas possible d'effectuer des stages de formation de deux années, comme c'est le cas notamment en France, mais que trois ou quatre semaines étaient souhaitables de façon réaliste. M. Gerasimov a également annoncé que l'obtention préalable d'un diplôme universitaire allait devenir obligatoire.
Un rapprochement avec l'Ecole nationale de procédure de France
Devant l'enthousiasme général pour la formation et l'implication de l'ADFR, Mathieu Chardon a suggéré un rapprochement entre l'ADFR et l'Ecole nationale de procédure française. M. Zvecharovsky s'est déclaré très intéressé par cette proposition et a souhaité organiser une rencontre à Paris avec les responsables de l'ENP au printemps 2006.
A l'issue de ces deux journées passionnantes, M. Kojemiakov s'est déclaré très satisfait de l'issue des débats. Il a indiqué que l'ADFR était un lieu de rencontre idéal pour échanger les idées et que l'expérience européenne pouvait être utile à la Fédération de Russie. M. Kojemiakov a remercié l'ensemble des participants ainsi que M. Fedor Filippov, directeur de l'ADFR, qui avait parfaitement assuré l'organisation de ce séminaire... qui en appelle déjà d'autres !
Les 35 ans de l'Académie de droit de la Fédération de Russie
L'année 2005 voyait le 35e anniversaire de l'ADFR. Cette académie est le successeur depuis 1991 de l'Institut unifié avancé pour les agents juridiques, formé en 1970. Aujourd'hui, l'ADFR est le centre de formation et une institution pour le ministère de la Justice de la Fédération de Russie. L'Académie comprend 141 professeurs. L'ADFR comprend une faculté de droit, une unité préparant aux études doctorales, un centre de formation continue ainsi qu'une école d'initiation au droit. Trois bâtiments se trouvent à Moscou, totalisant 15 000 m², un campus et des chambres d'étudiant. Environ 2000 étudiants suivent la formation de l'ADFR chaque année à Moscou. Sur l'ensemble du territoire, l'académie enseigne à environ 15 000 étudiants. L'ADFR édite deux revues, un magazine à caractère scientifique et une revue plus pratique, Justice, fondée en 2005. Les étudiants qui sortent de l'ADFR n'ont en principe aucune difficulté à trouver un travail au sein d'une juridiction, dans la police ou d'autres administrations.
Interview de M. Igor Zvecharovsky, recteur de l'Académie de droit de la Fédération de Russie
M. Zvecharovsky, vous êtes le recteur de l'ADFR. Quel a été votre cursus et quand avez-vous été nommé à cette haute fonction ?
J'ai achevé mes études universitaires en 1984 à la Faculté de droit d'Irkoutsk. Pendant un temps, j'ai travaillé dans un bureau de procureur. De 1984 à 1987, j'ai parallèlement suivi un cycle à l'université de Leningrad au département du droit pénal. Puis, jusqu'en 1996, j'ai enseigné en qualité de professeur et chef de département à l'université d'Irkoutsk, puis de chef de chair. Jusqu'en 2001, j'ai été nommé recteur de l'Institut juridique des procureurs généraux. De 2001 à 2004, j'ai été nommé vice-recteur puis 1er vice-recteur de l'ADFR. Je suis devenu recteur depuis septembre 2004. Ma spécialité est le droit pénal et la criminologie.
Quelle est l'importance de la législation internationale pour l'ADFR par rapport à la législation concernant les huissiers de justice ?
Un article de la Constitution dispose que la législation internationale et le droit international des contrats sont directement applicables dans la législation interne. Cela est fondamental pour la législation russe et les règles s'appliquent pleinement.
Avez-vous des contacts avec d'autres pays en matière d'échange et de coopération ?
Nous avons des accords de coopération avec l'université de Toulouse (France). Nos contacts sont excellents. Des groupes d'étudiants sont allés à Toulouse et y ont obtenu un diplôme universitaire. Nous avons d'autres contacts, à Londres et à Salzbourg, mais ils sont plus professionnels. Nous également en relation avec des universités en Finlande, en Allemagne, en Autriche, au Canada et en Pologne. Il s'agit de nouveaux contacts.
Pensez-vous que l'ADFR puisse participer, au travers la formation, à l'harmonisation de la profession d'huissier de justice en Europe et dans le reste du monde ?
Il n'y a aucun doute sur ce point. Nous avons de nombreux points de divergence. Hier, Mathieu Chardon nous a indiqué qu'en France, il y a 3 200 huissiers de justice pour une population de 60 millions d'habitants. En Russie, il y a 45 000 huissiers de justice pour une population de seulement 146 millions d'habitants. Cela voudrait dire, a priori, que notre système n'est pas efficace et coûte très cher. Mais nous ne pouvons pas faire ce type de comparaison. Nos motivations sont différentes. Nos situations sont différentes. Nos objectifs sont différents et parfois nos mesures sont différentes. Les huissiers de justice ici sont des fonctionnaires, organisés au sein d'un service fédéral. Mais nous avons également la volonté de faire partie des normes légales internationales. Nous espérons pour cela que nos contacts internationaux seront très utiles.