La formation : un besoin, une nécessité
La formation des huissiers de justice et de leurs collaborateurs est depuis longtemps au cœur des préoccupations de l'UIHJ. La mondialisation des échanges économiques et du droit - et par voie de conséquence des procédures civiles et d'exécution - ont fait prendre conscience aux professionnels de l'exécution que sont les huissiers de justice que les règles qui s'appliquent ont de plus en plus un caractère supranational. Il est également apparu que ces professionnels appréhendaient avec difficulté ces normes de droit transfrontalières. En particulier ils se trouvent confrontés à des situations pratiques qu'ils ont du mal à résoudre, notamment pour ce qui concerne les instruments européens tels que :
- les règlements 1348/2000 et 1393/2007 en matière de signification et de notification des actes,
- le règlement 44/2001 sur la compétence, la reconnaissance et l'exequatur allégé (Bruxelles I),
- le règlement 805/2004 instituant un titre exécutoire européen
- le règlement 1896/2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer.
Il faut ajouter à ces textes ceux du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), de la Conférence de La Haye de droit international privé, de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), sans oublier la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, de la Cour de justice des Communautés européennes ou de la Cour commune d'arbitrage. C'est pour répondre à l'ensemble de ces besoins que l'UIHJ a créé l'Institut de droit international judiciaire privé et de droit de l'exécution (IDJPEX), avec la coopération de l'Ecole nationale de procédure de Paris (ENP).
Pour sa première séance de formation, l'IDJPEX a choisi pour thèmes trois instruments européens et un instruments international : les deux règlements européens et la convention de La Haye du 15 novembre 1965 sur la signification, le titre exécutoire européen et l'injonction de payer européenne. Trois ateliers ont été constitués autour de professeurs d'université et d'huissiers de justice experts dans le domaine de la formation.
Le succès était au rendez-vous. Plus de 300 confrères et collaborateurs d'huissiers de justice venus de 22 pays (Algérie, Allemagne, Belgique, Bulgarie, Chypre, Congo, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Luxembourg, Ancienne République yougoslave de Macédoine, Portugal, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Suède, Suisse, Thaïlande) ont suivi avec grande assiduité la formation qui leur a été dispensée pendant toute la journée.
La présence massive des huissiers de justice et de leurs collaborateurs
Dans son discours d'introduction, Jacques Isnard, président de l'UIHJ, s'est félicité de la présence massive des confrères et a remercié les intervenants pour leur participation, en particulier les trois éminents professeurs de droits spécialistes en matière de procédures civiles internationales, Natalie Fricero, professeur à la faculté de droit de Nice (France), directeur de l'Institut d'études judiciaires, Frédérique Ferrand, professeur de droit à l'université Jean Moulin Lyon III (France), experte au sein du groupe de travail Unidroit, et Jean-François van Drooghenbroeck, professeur à l'Université catholique de Louvain (Belgique), ainsi que Laurence Thébault, de la Conférence de La Haye de droit international privé.
S'appuyant sur le constat que la connaissance du droit communautaire était très médiocre, non seulement au sein de la profession mais également des différents corps judiciaires en général, le président a rappelé que l'Europe du droit ne se ferait pas à l'aide de ses seuls règlements et directives, mais qu'elle avait besoin pour s'épanouir de ses professionnels, universitaires, experts et praticiens. Il a déploré que les différents règlements aient été élaborés la plupart du temps sans tenir compte des observations formulées par les praticiens. « Il importe de s'adapter en gardant espoir. Il s'agit de tenter de rassembler dans la capitale de l'Europe les huissiers de justice de l'Union européenne pour une journée de formation. Le succès est au-delà des espérances. C'est même une journée historique à bien des égards car nous sommes plus de trois-cents. Je me félicite de la très forte présence des confrères venus d'Europe de l'Est et du Centre, de Grèce et des Pays-Bas » a-t-il dit. Jacques Isnard a enfin remercié Francis Guépin et Roland de Meerleer, membres du bureau de l'UIHJ, pour l'organisation matérielle de la journée. La présidence de la journée était confiée à Francis Guépin.
Un duo complémentaire
Le premier atelier avait pour thème le nouveau règlement (CE) n°1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 relatif à la signification et la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. L'atelier était composé de Natalie Fricero, de Rose Bruno (France), huissier de justice, membre de l'UIHJ et expert ENP, d'Isabelle Bambust, juriste à la Chambre nationale des huissiers de justice de Belgique, et de Jos Uitdehaag (Pays-Bas), huissier de justice, premier questeur du Comité de l'UIHJ. Il était placé sous la modération de Roger Dujardin, vice-président de l'UIHJ. Formant un duo très complémentaire, Natalie Fricero et Rose Bruno ont évoqué les grandes lignes du nouveau règlement sur la signification respectivement sur un plan académique et pratique. Le tout nouveau règlement abroge le règlement n°1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000. Il entrera en application le 12 décembre 2008. Le professeur Fricero s'est attachée à présenter de façon particulièrement vivante et dynamique les différentes modifications opérées par le règlement 1393/2007 : principe de la double date, traductions, modalités et délais pour refuser l'acte, nouveaux formulaires, [...] Au cours de sa présentation, Mme Fricero a fait part de l'hostilité des universitaires et des justiciables à l'égard des « autres modes de notification » visés à l'article 14 et relatifs à l'utilisation des services postaux au lieu des professionnels de la signification. « L'expérience du justiciable français constate que c'est catastrophique » a-t-elle déploré en évoquant la faible motivation des employés des services postaux, les boîtes aux lettres éventrées ou inexistantes et les courriers remis à des personnes autres que leurs destinataires. Rose Bruno a insisté sur les difficultés - aujourd'hui globalement résolues - qu'avaient les huissiers de justice pour trouver les entités requises. Notre consœur a également regretté le manque de moyen général des huissiers de justice - en particulier français - pour retrouver les destinataires lorsqu'ils étaient sans adresse connue.
Des critères géographiques et linguistiques
Puis, Isabelle Bambust a insisté sur les critères géographiques et linguistiques du règlement. Ainsi un Français demeurant à Bruxelles pourrait être assigné aux Pays-Bas en néerlandais seulement puisqu'il s'agit d'une des deux langues officielles en vigueur dans la capitale européenne. Mme Bambust est donc favorable à ce que l'acte puisse être refusé par son destinataire s'il n'est pas établi dans une langue qu'il comprend. Puis elle a fait un panorama détaillé de la jurisprudence en vigueur sur le règlement n°1348/2000, notamment sur les problèmes de traduction.
Jos Uitdehaag a évoqué les obstacles à la signification. Il reconnaît que le nouveau règlement constitue une amélioration par rapport au précédent mais que des écueils sont encore à déplorer. Parmi ceux-ci figure l'adresse du destinataire et l'impossibilité de signifier l'acte lorsque celle-ci n'est pas connue ou lorsque son domicile est fictif. Comment obtenir l'adresse du débiteur, surtout lorsqu'il se cache ? Par ailleurs, le premier questeur du Comité de l'UIHJ s'est félicité de la mise en place d'un tarif forfaitaire pour la signification, même si une harmonisation entre les pays allait être délicate. Il a néanmoins relevé que le coût d'un acte est toujours négligeable par rapport aux honoraires facturés par les conseils des parties et par rapport à la sécurité juridique apportée par la signification par un professionnel comme l'huissier de justice.
Un instrument souvent critiqué pour sa complexité
Le 2e atelier concernait le règlement (CE) n°805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (TEE).
L'atelier était placé sous la modération de Leo Netten, 1er vice-président de l'UIHJ. Les intervenants étaient Jean-François van Drooghenbroeck, Françoise Andrieux (France), huissier de justice, expert ENP, Charles Vanheukelen (Belgique), huissier de justice, ancien président de la Chambre nationale des huissiers de justice de Belgique, et de Jeroen Nijenhuis (Pays-Bas), huissier de justice.
Le professeur van Drooghenbroeck est l'auteur de l'ouvrage de référence « Un Titre Exécutoire Européen » (Les dossiers du journal des tribunaux, 53, Larcier, 2006). Dans un brillant exposé, il a fait ressortir de façon très claire les différentes composantes de cet instrument souvent critiqué pour sa complexité : définition de la créance incontestée, notion de décision exécutoire, conditions de délivrance du TEE, normes minimale relatives à la signification et à la notification des actes, normes minimales pour un réexamen dans des cas exceptionnels, ou encore conditions d'exécution du TEE. A l'instar de sa collègue Natalie Fricero, le professeur van Drooghenbroeck a regretté que, dans un instrument européen qui a pour but de tirer l'Europe vers le haut pour ce qui concerne les droits de la défense et de la sécurité juridique, il n'ait pas été plaidé pour un renforcement de l'exigence de l'acheminement des actes et pour un plébiscite en faveur de l'acheminement des actes à personne. « C'est l'inverse qui s'est produit. Plutôt que de tirer l'Europe vers le haut, on l'a tirée vers le bas » a regretté l'intervenant. Mais globalement, le professeur van Drooghenbroeck s'est prononcé en faveur du TEE, à l'instar de Charles Vanheukelen qui voit dans cet instrument un formidable outil d'harmonisation des procédures d'exécution dans l'espace judiciaire européen. Notre éminent confrère a évoqué l'ensemble des modalités pratiques pour aborder cet instrument. Il a insisté sur l'importance de l'acte introductif d'instance qui permettra par la suite la mise en œuvre du TEE. Cet acte devra contenir certains éléments, et notamment trois points. En premier lieu, il faut que la décision soit exécutoire. Il convient ainsi demander dans l'acte introductif d'instance que l'acte soit déclaré exécutoire par provision. En deuxième lieu, il faut être attentif sur le taux d'intérêts et la période pour laquelle ces intérêts sont exigibles. En troisième lieu, le débiteur doit être informé des modalités procédurales de contestation de créance, qui doit figurer dans l'acte introductif d'instance. Dans le cas où l'acte introductif d'instance n'a pas été signifié conformément aux dispositions du règlement TEE, l'huissier de justice devra « rectifier le tir » au moment de la rédaction de l'acte de signification de la décision pour intégrer les éléments exigés par le règlement.
Un jeu de pistes pour les normes minimales
Si Françoise Andrieux s'est réjouie de l'existence de cet instrument, elle s'est attachée à chercher dans le règlement lui-même les raisons pour lesquelles il est si peu utilisé à ce jour. Concernant les voies de recours, il en existe trois principales, prévues aux articles 10, 21 et 23. Concernant les vérifications de forme et de fond, l'huissier de justice est confronté à des difficultés pratiques. Rien ne vient définir dans le texte du règlement la créance incontestée si ce n'est l'inaction, la passivité du défendeur ou son absence de contestation à l'audience. Françoise Andrieux a également évoqué le « jeu de piste » des normes minimales, partant de l'article 3, passant par les articles 6, 13 et 19, pour finalement aboutir à la phase d'exécution en utilisant l'article 20. Elle a également passé en revue les différents formulaires et les clés pour les compléter et les analyser.
Jeroen Nijenhuis, quant à lui, s'est clairement affiché aux côtés des « non-believers » du règlement TEE. Il a indiqué que cet instrument n'offre rien quant au caractère authentique du TEE et que l'Europe judiciaire a ceci de particulier qu'elle repose entièrement sur la confiance mutuelle - voire la confiance naïve - entre les Etats. Il s'est interrogé sur le fait de savoir si la suppression de l'exequatur était une bonne ou une mauvaise idée. En tout état de cause, en cas d'exequatur, il y a toujours une juridiction pour procéder à des vérifications. Notre confrère a également indiqué que l'Union européenne vit au travers des formulaires. Mais encore faut-il savoir les compléter. Ainsi, lorsqu'un défendeur manifeste un quelconque degré de contestation eu égard à la créance, cela est suffisant pour interdire la délivrance d'un TEE. En définitive, pour notre confrère, les conditions d'application du règlement TEE font que le créancier préfèrera finalement souvent utiliser le règlement Bruxelles I.
Le premier titre européen autonome
Le 3e atelier se penchait sur la prospective proche avec le règlement (CE) n°1393/2007 du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure européenne d'injonction de payer (IPE).
Il était placé sous la modération de Bernard Menut, secrétaire du bureau de l'UIHJ. Les intervenants étaient Frédérique Ferrand, Mathieu Chardon (France), huissier de justice, 1er secrétaire de l'UIHJ, Marc Schmitz (Belgique), huissier de justice, questeur du Comité de l'UIHJ, et Geert Wind (Pays-Bas), huissier de justice.
Frédérique Ferrand a présenté les grandes lignes de ce nouveau texte communautaire qui entrera en application le 12 décembre 2008. Le professeur Ferrand a indiqué qu'il s'agissait du premier titre exécutoire européen de nature autonome et a précisé que la Commission européenne voulait que cet instrument soit également appliqué à tous les litiges de pur droit interne. Finalement il ne s'applique qu'aux litiges transfrontaliers entre les Etats membres, à l'exception du Danemark. Avec une parfaite maîtrise de sa matière, Mme Ferrand a décrit successivement les objectifs de l'IPE, son champ d'application, la procédure en elle-même et enfin les modalités de recours.
Sur un plan pratique, Mathieu Chardon et Marc Schmitz ont ensuite évoqué les problèmes pratiques auxquels seront confrontés les huissiers de justice lorsqu'ils auront à appliquer prochainement le règlement. Ces problèmes ont été évoqués sous la forme de quinze questions-réponses : qui peut signer la demande d'IPE, peut-on se faire représenter par un huissier de justice pour former opposition, quid des mesures d'exécution en cas d'opposition ou de demande de réexamen, etc. A cette occasion, Marc Schmitz a rappelé que l'IPE était fortement inspirée de la procédure d'injonction de payer allemande (Mahnverfahren). Pour sa part, Mathieu Chardon a indiqué qu'il était choquant que, lorsque les actes étaient signifiés par des professionnels de la signification comme les huissiers de justice, - ce qui est obligatoire dans plusieurs Etats - les frais de signification afférant aient été délibérément exclus des frais de justice prévus à l'article 25 et pouvant être réclamés au débiteur.
Enfin, Geert Wind a présenté l'IPE en insistant sur les spécificités néerlandaises. Ainsi, aux Pays-Bas, on songe à faire délivrer une IPE par une seule juridiction néerlandaise, située à La Haye. En matière de litige lié à la consommation cependant, le consommateur doit toujours être condamné par une juridiction proche de son domicile. Notre confrère a également évoqué les formulaires et notamment celui du formulaire G (déclaration constatant la force exécutoire).
Un encouragement pour récidiver !
Puis, la journée s'est achevée par un brillant exposé, clair et très complet, de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. L'auteure de cet exposé, Laurence Thébault, a justement rappelé que les règlements 1348/2000 et 1393/2007 sont très largement inspirés de la convention de 1965. La représentante de la Conférence de La Haye de droit international privé a abordé successivement les conditions d'application de la convention, les diverses voies de transmissions (principales, alternatives et dérogatoires), les articles relatifs à la protection des demandeurs et des défendeurs, et enfin les sources d'informations disponibles sur la convention (www.hcch.net).
Chacune des interventions a fait l'objet de questions de la part de l'assistance donnant lieu à un débat nourri qui n'a été interrompu que faute de temps.
A cet égard, pour clore la journée, le président Isnard a remercié à nouveau tous les intervenants ainsi que Roland de Meerleer et Luisa Lozano, secrétaire de l'UIHJ. Puis il a salué la grande assiduité de l'assistance. « Cela est exceptionnel et démontre que l'étude des textes communautaires et internationaux suscite un puissant intérêt de la part des huissiers de justice. C'est également la démonstration que les huissiers de justice se sentent impliqués dans le mouvement d'édification de l'Europe judiciaire et aussi se sentent impliqués dans leur formation » a-t-il indiqué. Selon les mots mêmes du président de l'UIHJ, cette première est un encouragement qui suscitera un mouvement pour récidiver !