De G. à D. : Pareskevi Michou, directrice de la Direction A, Justice Civile, DG Justice de la Commission européenne, Salla Saastamoinen, chef d’Unité A1 – Civil Justice Policy, DG Justice de la Commission européenne, Christoph Sajonz, secrétaire du RJE
Le rôle essentiel du RJE pour l'harmonisation de l'espace judiciaire européen en matière civile
L'UIHJ était invitée à participer à cette réunion en qualité d'observateur. Elle était représentée par son premier secrétaire, Mathieu Chardon. Depuis un an maintenant, les professions judiciaires ont intégré le RJE. Des huissiers de justice de onze pays de l'Union européenne étaient présents : Belgique, Bulgarie, Espagne, Estonie, France, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Portugal, Slovaquie et Suède.
La réunion était présidée par Salla Saastamoinen, chef d'Unité A1 - Civil Justice Policy, DG Justice de la Commission européenne, assistée par Christoph Sajonz, secrétaire du RJE. Pareskevi Michou, directrice de la Direction A, Justice Civile, DG Justice de la Commission européenne, a souhaité la bienvenue aux participants. Mme Michou s'est déclarée très honorée d'accueillir les représentants des professions juridiques ayant rejoint le RJE depuis un an. Le RJE joue un rôle essentiel pour l'harmonisation de l'espace judiciaire européen en matière civile, a estimé l'oratrice, car « il facilite l'application correcte des instruments ». Mme Michou a donné un aperçu des travaux en cours et qui allaient être abordés pendant la réunion. Le but des travaux est de s'assurer que les citoyens de l'Union européenne ne soient plus confrontés à des entraves en matière de justice lorsqu'ils ne sont pas dans leur pays d'origine. L'action de la Commission européenne doit fournir des mécanismes en matière de justice pour mettre en œuvre leurs droits. Les acteurs économiques pourront également tirer profit des outils dont ils disposeront.
Au-delà de la reconnaissance des jugements, il faut assurer leur exécution. Il faut faciliter le recouvrement de créances transfrontalières, d'où la proposition récente (juillet 2011) de l'instauration d'une procédure européenne de saisie conservatoires des comptes bancaires. Le RJE met à la disposition des praticiens du droit et des citoyens avec le site Internet et l'Atlas judiciaire européen des formulaires dynamiques, des outils très utiles pour les aider à résoudre les litiges transfrontaliers et échanger des informations utiles, a expliqué Mme Michou. S'agissant des professions juridiques, elle s'est estimée très satisfaite de leur intégration au RJE. « Leur expérience enrichit le RJE. C'est une valeur ajoutée » a-t-elle reconnu. Cette année, la Commission européenne et le Conseil de l'Europe vont organiser le prix Balance de Cristal. Il sera décerné à l'occasion de la Journée européenne de la justice civile le 25 octobre 2012. Mme Michou a invité les membres du RJE à en faire la promotion dans leur pays. L'oratrice a terminé son intervention en indiquant que la Commission européenne était engagée dans un objectif prioritaire pour que la justice contribue au développement économique des Etats membres (Initiative « Justice for Growth). Et de conclure : « Les contacts personnels sont décisifs dans le travail quotidien des membres du RJE. Il a accompli un travail remarquable depuis le 1er décembre 2002. Je vous en félicite. Votre travail vient seulement de commencer. Il va se poursuivre ».
Les points de contact de Belgique et de Hongrie ont présenté l'organisation et le fonctionnement du RJE. Puis des experts de la société Mainstrat ont présenté un rapport commandé par la Commission européenne sur l'application du règlement (CE) n°1206/2001 sur la preuve. Le travail a débuté fin août 2011. Le rapport final est attendu pour début mars 2012.
S'agissant du règlement (CE) n°805/2004 sur le titre exécutoire européen (TEE), Barrie Irving a présenté une étude sur son application auprès des vingt-six Etats qui l'utilisent. Cette étude a été conduite auprès de ministères de la justice, de juges, de juristes spécialisés, d'agents d'exécution et d'universitaires. En fait, le règlement s'avère peu utilisé et peu d'expérience a pu être recueillie. En conclusion, M. Irving a indiqué que le TEE semble plus efficace que le règlement Bruxelles I mais est plus vulnérable s'agissant de la protection des droits fondamentaux des défendeurs. Le TEE fait également l'objet de critiques de la part des universitaires.
Concernant le règlement (CE) n° 1896/2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer, M. Sajonz a précisé qu'un guide a été établi. Ce guide peut être consulté sur le site Internet du RJE.
Enfin, concernant le règlement (CE) n°861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, un groupe de travail va être prochainement constitué.
La notification postale ne fonctionne pas pour des raisons pratiques et juridiques
Le cœur de la discussion a concerné la présentation par la société Mainstrat d'une étude commandée par la Commission européenne sur l'application du règlement (CE) n°1393/2000 du 13 novembre 2007 sur la signification et la notification transfrontalière des actes.
Les travaux ont été conduits à partir de rapports établis par les pays, par les entités centrales et par les experts. 465 professionnels ont été interrogés sur l'application du règlement : avocats, huissiers de justice, juges, entités requises et d'origine, et notaires. Les travaux se sont concentrés sur la rapidité et l'efficacité ainsi que sur la sécurité juridique. Sur la rapidité, des améliorations sont constatées. Des inégalités entre ses pays sont pour autant constatées. La transmission directe ne semble pas très effective. Le principal problème est que les entités ne sont pas suffisamment familiarisées avec le règlement. La localisation des entités requises sur le site de l'Atlas judiciaire européen semble aussi poser des difficultés. La transmission des documents entre entités est réalisée par voie postale dans 88% des cas. Les entités ont déclaré ne pas toujours recevoir les documents. Selon les experts de la société Mainstrat, il faut promouvoir la transmission électronique entre entités, laquelle n'est utilisée que dans 4% des cas.
S'agissant de la sécurité juridique, la date de signification est essentielle. Des problèmes concernant la date ont été relevés. Il est ainsi difficile de déterminer la date de l'acte en cas de notification postale. Les accusés de réception ne sont pas remplis complètement dans 41% des cas. Dans 40% des cas, les accusés réception ne sont pas retournés. Dans 34% des cas, la signature ne peut pas être lue ou il n'est pas possible d'identifier le signataire de l'accusé de réception.
S'agissant de la possibilité pour le destinataire de refuser l'acte, ce droit ne semble pas suffisamment protégé. En effet, la notification par voie postale ne comprend pas le formulaire de l'annexe II du règlement qui offre la possibilité au destinataire de refuser l'acte pour défaut de traduction.
En conclusion, si la notification postale est largement utilisée, elle est peu recommandable, pour plusieurs raisons. Rien ne permet de certifier que l'acte est remis à la bonne personne. Il existe une incertitude quant à la date de la notification. Il est difficile d'envisager une formation du personnel des services postaux aux arcanes du règlement. Le droit de refuser le document pour défaut de traduction n'est pas suffisamment protégé par la notification postale.
La transmission par voie consulaire ou diplomatique est jugée quant à elle obsolète, inadaptée et trop lente. La notification directe n'est pas suffisamment connue, seule la moitié des Etats y ayant recours.
Quant à la transmission électronique, elle est recommandable mais uniquement entre les entités. S'agissant de la signification électronique, on constate l'absence de processus harmonisé entre les pays. Il faut protéger les intérêts des destinataires. La notification électronique doit inclure un accusé de réception qui permet aussi de s'assurer que le destinataire a compris le document qui lui est notifié. La notification électronique doit apporter la preuve intrinsèque de sa notification. Elle implique de créer une adresse électronique légale pour chaque citoyen.
Salla Saastamoinen a précisé que le rapport de la Commission sur l'application du règlement serait publié en 2012. Ce rapport sera suivi par une consultation publique. Le règlement 1393 devrait être révisé en 2013.
Les réactions à la présentation du rapport Mainstrat ont été nombreuses. S'agissant de la notification postale, plusieurs points de contacts se sont accordés pour dire que si ce système n'est pas mauvais en soit, il ne permet pas d'offrir toutes les garanties que les justiciables sont en droit d'attendre : difficulté pour déterminer la date de notification, incertitude quant à savoir si le destinataire a été contacté par la lettre, même recommandée (accusés de réception incomplets ou non retournées, signature du destinataire illisible ou inexploitable, ...), problématique autour de la question du refus par le destinataire de recevoir l'acte pour défaut de traduction,...
En particulier, le représentant de l'Allemagne a reconnu que « la notification postale ne fonctionnait pas pour des raisons pratiques et juridiques » : utilisation de la lettre recommandée impossible dans certains Etats membres, accusé de réception non rempli, absence de cachet, illisibilité de l'accusé de réception, renseignements inexploitables...
Le représentant du Royaume-Uni, plus nuancé, n'a pas pour autant évincé les critiques adressées à l'égard de la notification postale.
Le représentant de la Hongrie a également critiqué la notification par voie postale. Il s'est s'interrogé pour savoir comment rendre le système plus fiable. « Il est important d'avoir les garanties qui protègent le défendeur, a-t-il estimé. La remise des documents par voie postale n'est pas mauvaise en soit mais ne fonctionne pas de façon idéale ».
L'huissier de justice, gage de sécurité de la signification des actes judiciaires
Pour l'UIHJ, a déclaré Mathieu Chardon, il faut se demander si la notification postale présente un degré de sécurité juridique suffisant pour garantir et protéger les droits des citoyens lorsqu'ils sont confrontés à des litiges transfrontaliers. Manifestement, les membres du RJE reconnaissent aujourd'hui les problèmes d'absence de sécurité juridique de la notification postale. Ces problèmes ont été dénoncés par l'UIHJ depuis la mise en place du règlement 1348/2000 dès son entrée en application. Ils ont été soulevés en particulier à l'occasion des travaux qui ont conduit à la révision du règlement 1348. Un premier pas avait été franchi dans le règlement 1393. La notification postale simple avait été supprimée au profit de la notification postale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Manifestement cela n'est pas suffisant. Une étape très importante et historique vient donc d'être franchie. Elle devrait conduire à terme à la suppression de la notification postale pour les notifications d'actes en matière transfrontalière.
Le 1er secrétaire de l'UIHJ n'a pas manqué de faire état du précédent rapport de la société Mainstrat commandé par la Commission européenne en mai 2004 sur l'application du premier règlement sur la signification. Il a rappelé que ce rapport mentionnait déjà que la notification postale était déconseillée :
- les accusés de réception ne sont habituellement pas retournés,
- la notification est source d'insécurité, aucune certitude ne pouvant être donnée quant à savoir si la notification avait été faite à la bonne personne ;
- La notification postale ne permet pas non plus de déterminer la date de façon certaine
- La notification postale devait être remplacée par la remise physique au destinataire par un professionnel du droit.
Ces recommandations de bons sens n'avaient pas été suivies par le législateur européen. Mathieu Chardon a suggéré que les agents d'exécution de type huissiers de justice ou équivalent, qui existent partout dans l'Union européenne, soient désignés comme d'entités d'origine et requises. Cela permettrait d'assurer la remise physique des actes dans le cadre du règlement et d'éviter l'utilisation de la notification postale, inefficace et source d'une trop grande insécurité.
Le premier secrétaire de l'UIHJ a rappelé que la signification par les soins d'un juriste professionnel indépendant comme l'huissier de justice est le seul moyen d'authentifier la remise effective de l'acte au destinataire. Il a ajouté qu'une responsabilité totale pèse sur les épaules de l'agent chargé de la signification, et que seule une procédure complexe et lourde peut remettre en cause l'authenticité des mentions portées dans l'acte de signification.
Notre confrère a enfin rappelé qu'à l'occasion du colloque international organisé par l'UIHJ à Sibiu (Roumanie) en 2009 pour célébrer les dix ans du Conseil européen de Tampere, une étude avait été conduite sur la signification des actes dans l'Union européenne. Il en ressort qu'il existe partout dans l'Union européenne des agents d'exécution et autres juristes professionnels indépendants capables de réaliser des significations par remise physique. L'UIHJ avait à cette occasion rédigé un projet de directive européenne sur un acte introductif d'instance harmonisé dans l'espace judiciaire européen. Un tel acte signifié par un juriste professionnel comme l'huissier de justice résoudrait de façon définitive tous les problèmes de sécurité juridique auxquels sont confrontés les justiciables européens.
Ce sont ces problèmes que la Commission européenne sera appelée à résoudre à l'occasion de la prochaine révision du règlement 1393. Lorsqu'un système ne fonctionne pas, il faut en changer. Il existe des professionnels dont la mission est de sécuriser et d'authentifier la signification les actes. Ces professionnels sont les huissiers de justice. C'est à eux que revient la mission fondamentale de signifier les actes dans l'espace judiciaire européen.