La poursuite d'une mission commencée en 2001
Dans le cadre d'une projet concernant la réforme des institutions judiciaires en Moldavie commencée en 2001, le Conseil de l'Europe avait sollicité la participation de Mathieu Chardon, membre du Comité de l'UIHJ, à un séminaire qui s'était tenu les 3 et 4 juin 2003 à Chisinau (Moldavie) sur le thème de l'exécution des décisions de justice justice en matière civile et commerciale (Voir l'article dans UIHJ Magazine n°16, p. 29 et s.). Un rapport d'évaluation sur le renforcement et de développement de l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciales avait rédigé par la suite par Mathieu Chardon et Barbara Göth-Flemmich, magistrat autrichienne, expert au Conseil de l'Europe.
Pour la suite de cette mission, le Conseil de l'Europe a fait appel à deux membres du Comité de l'UIHJ, Mathieu Chardon (France) et Jos Uitdehaag (Pays-Bas), ainsi qu'à Frank Walterson, conseiller au ministère de Finances de Suède et également expert au Conseil de l'Europe.
Pour préparer cette réunion, des commentaires sur le projet de loi portant réforme des procédures civiles d'exécution en Moldavie avaient été préparés par les trois experts durant l'été. La réunion s'est tenue sur deux jours à Strasbourg, au siège du Conseil de l'Europe, les 1er et 2 septembre 2005, en présence d'Alexey Kojemiakov, directeur du Département de l'exécution forcée du Conseil de l'Europe. Merete Bjerregaard, administratrice au Département du droit privé au Conseil de l'Europe avait parfaitement organisé le séminaire et a assuré la coordination des deux journées de travail particulièrement fructueuses.
Les experts moldaves comprenaient Elena Mocanu, vice-ministre de la Justice, Valeriu Devderea, directeur du Département de l'exécution forcée, Elena Poalelungi, directrice du Département des ressources humaines et des relations publiques du ministère de la Justice, Angela Bostan, directrice du département régional de l'exécution forcée de la région de Hincesti, Dinu Vataman, consultant juridique à la Division de l'élaboration des textes de loi. Les experts moldaves étaient assistés de deux interprètes.
Le Conseil de l'Europe était également représenté par Carsten Mahnke, chef de projet adjoint du projet de réforme législative en matière civile et commerciale en Moldavie et par Yoni Stojanova, assistante au Département du droit privé au Conseil de l'Europe.
Un programme dense favorisant des échanges multiples
Le programme incluait un aperçu du système de l'exécution forcée en Moldavie par les experts moldaves. Le rapport d'évaluation du 11 juin 2004 sur le renforcement et le développement de l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale a ensuite été présenté et commenté par Mathieu Chardon. Les problèmes rencontrés dans la mise en oeuvre du code de l'exécution forcée moldave ont été présentés par les experts moldaves et discutés avec les experts du Conseil de l'Europe, lesquels ont fait part de leur expérience et ont présenté des solutions possibles. Le projet de loi sur le système de l'exécution forcée des décisions de justice, ainsi que le management et la formation des organes de l'exécution forcée en Moldavie, ont été présentés par les experts moldaves, suivis de commentaires et de discussions avec les experts du Conseil de l'Europe. Les deux journées se sont achevées par l'élaboration d'un plan d'action concernant la loi sur l'exécution forcée en Moldavie et les prochaines étapes possibles pour renforcer ce système. Les débats ont été très riches et denses, tant pendant les deux journées que pendant le dîner informel organisé par le Conseil de l'Europe le jeudi 1er septembre et qui aura permis à chacun d'approfondir les échanges de façon conviviale.
Une situation difficile nécessitant des réformes
Globalement, la situation des huissiers de justice en Moldavie et des mesures d'exécution forcées n'a que peu évolué depuis la visite des experts du Conseil de l'Europe à Chisinau en juin 2003.
Après la Seconde Guerre mondiale, des employés des tribunaux étaient chargées de procéder aux exécutions forcées directement à la demande et sous le contrôle des juges. En 1964, les fonctions des huissiers des tribunaux ont été mis en place. Les huissiers étaient principalement chargés d'exécuter les décisions des tribunaux. Compte tenu du volume d'activités dans les années 70, il y a eu une période de remaniement, ce qui a pris du temps. En 2002, le Département de l'exécution forcée (DEF) a été créé. Pendant 3 ans le DEF a fait de nombreuses actions pour résorber le nombre de décisions non exécutées (sur les 120 000 décisions rendues en 2001, 65% demeuraient non exécutées). A la fin de 2003, il a été établi qu'il y avait plus de 380 000 décisions à exécuter, le travail ayant triplé depuis 2001. Ce retard a été absorbé mais il est établi qu'aujourd'hui, environ 450 000 décisions de justice doivent être exécutées chaque année.
Le service de l'exécution comprend 445 personnes au total - 50 personnes pour le bureau central et 395 dans les 42 subdivisions territoriales, dirigées chacune par un directeur de subdivision territoriale. Un directeur adjoint des subdivisions territoriales est nommé lorsqu'il y a plus de 20 huissiers et plus de 20 000 décisions à exécuter par an en moyenne dans une subdivision territoriale. A partir de 2005, des secrétariats qui reçoivent les documents et les enregistrent pour pouvoir traiter les problèmes ont été mis en place.
L'un des problèmes majeurs est celui du recrutement. Il manque actuellement deux sous directeurs depuis un an. Le ministère de la Justice ne trouve personne qui aurait les qualifications nécessaires pour ce poste. Tous les candidats possibles refusent le poste car le salaire est bas et les responsabilités sont très grandes. Il n'y a pas assez d'équipement, pas assez de moyens de transports et pas assez de bureaux pour le personnel.
Il y a également des problèmes dans la formation. Il n'y a aucun cursus universitaire dans les universités pour l'exécution des décisions de justice. En définitive, les personnes qui acceptent de travailler au DEF sont pour la plupart des jeunes qui veulent acquérir une expérience qui leur servira de tremplin pour s'engager dans une autre voie dès que possible. Ce sont également celles qui n'ont pas pu obtenir d'autres postes dans les administrations voisines : police, magistrature, ...).
Dans la nouvelle loi, l'huissier de justice peut recevoir les informations concernant les débiteurs (coordonnées bancaires, adresse, coordonnées de l'employeur, informations sur le patrimoine, ...) directement des organismes concernés (sécurité sociale, banques, cadastre, ...). Mais ces organismes se plaignent car cela leur coûte de l'argent et ils n'ont pas le personnel pour répondre aux huissiers de justice. Une banque de donnée doit être mise en place mais il n'y a malheureusement aucun budget pour mettre en place un tel système.
La formation professionnelle est assurée par deux types de formation : interne, dans un office, et externe, dans un centre de formation du ministère de la Justice. La formation interne est organisée par les responsables des offices. Il établit un programme de formation. Mais après évaluation, il s'est avéré que ces formations étaient insuffisantes. Des séminaires et conférences sont organisés dans les territoires. En ce moment, seulement 180 agents d'exécution sont formés. Cela est dû au manque de moyens financiers. De plus, il est difficile d'attirer les candidats, notamment en raison des salaires faibles. A l'heure actuelle, il n'existe aucun professeur de droit spécialisé dans le domaine de l'exécution.
Des projets pour l'éventuelle mise en place d'un huissier de justice à caractère libéral et pour la formation
Le système de l'exécution ne fonctionne pas comme il devrait. Les experts moldaves reconnaissent que leur système n'est pas idéal et que les multiples plaintes portées devant la CEDH ont abouti à la condamnation de la Moldavie à de nombreuses reprises. Les Moldaves s'interrogent sur le système qui pourrait fonctionner, peut-être en utilisant un mode mixte (professionnels fonctionnaires et professionnels libéraux) ou uniquement libéral. Ils ont sollicité l'assistance d'experts internationaux qui connaissent le problème et qui pourraient leur donner des solutions. Les représentants moldaves ont ainsi déclaré qu'ils allaient discuter de la possibilité de mettre en place une profession d'huissier de justice basée sur un modèle libéral, comme en France ou en Hollande.
Dans les projets concernant la formation, l'objectif serait de former les huissiers de justice pendant trois mois (il paraît irréalisable d'assurer une formation pendant dix-huit mois comme celle des magistrats), et de mettre en place une formation continue. Il faudrait que 5 à 10 formateurs parmi les huissiers de justice soient formées pour mettre en place les bases permettant la création d'une telle formation. Encore une fois, les bonnes volonté et l'expérience des autres pays sont sollicités. M. Devderea a également insisté sur le fait que le rôle du Conseil de l'Europe doit être décisif pour préparer les formateurs parmi les huissiers de justice. Il serait nécessaire, a-t-il ajouté, de les former aux théories et aux pratiques internationales dans le domaine de l'exécution. Pour nous, cela serait très important, pour adapter notre cadre législatif à ce qui ce passe ailleurs, dans un souci d'harmonisation.
Un rapprochement inévitable avec l'UIHJ
A l'issue du séminaire, les experts du Conseil de l'Europe ont proposé qu'une délégation moldave se rende à Paris pour assister au conseil permanent de l'UIHJ qui se tiendra les 24 et 25 novembre 2005. Cette participation permettrait à nos confrères moldaves de prendre très facilement des contacts avec la quarantaine de délégations d'huissiers de justice venues du monde entier. A cette occasion, une visite et une rencontre avec les représentants de la Chambre nationale des huissiers de justice française et de l'Ecole nationale de procédure française seraient également un moyen efficace de prendre les contacts qui permettront aux représentants moldaves de mener à bien plus facilement leurs projets de réforme. L'UIHJ et son président, Jacques Isnard, ainsi que la Chambre nationale des huissiers de justice de France se réjouissent de cette perspective et se déclarent prêts à apporter leur soutien et leur aide à la Moldavie dans les réformes qu'elle souhaite entreprendre.