Des huissiers de justice tournés vers l'international
Tous les deux ans, la Chambre nationale des huissiers de justice de France organise un congrès qui constitue l'événement majeur de la profession. Pour son 27e congrès, le site prestigieux de La Rochelle avait été retenu. Le thème du congrès, « la réforme », correspondait au soixantième anniversaire de l'actuel statut des huissiers de justice français. C'était l'occasion de dresser un bilan et de formuler des propositions de réforme afin de permettre à nos confrères français d'entrer de plain pied dans le 3e millénaire.
Les huissiers de justice français sont traditionnellement tournés vers l'international. Dans l'équipe du congrès, composée de neuf personnes, on retrouvait, autour de son rapporteur général, Françoise Andrieux - qui était à l'initiative des rencontres UIHJ-Euromed lorsqu'elle était présidente de la chambre départementale des huissiers de justice des Bouches-du-Rhône -, Mathieu Chardon, membre du Comité de l'UIHJ, et Stéphane Gensollen, notre confrère de Marseille, très impliqué dans les activités de l'UIHJ. Après les traditionnels et très appréciés discours de bienvenue et d'introduction prononcés par Yves Martin, président de la Chambre nationale des huissiers de justice, Guy Bricard, président de la chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Poitiers et Jean-Marc Guillou, président de la chambre départementale de Charente Maritime qui accueillait les congressistes, la lumière a été faite sur les travaux de l'équipe du congrès.
Trois commissions pour une réforme
Le congrès était organisé autour de trois commissions. La première commission a dressé un état des lieux détaillé permettant de faire le point sur la situation actuelle des huissiers de justice et de dégager des axes de réforme. La deuxième commission, tournée vers l'aspect international, a permis de donner un éclairage sur les tendances actuelles en matière de législation et de profession. Enfin, la troisième commission, à la lumière des travaux des deux autres, a présenté des axes de réforme sur la formation, l'accès à la profession, le statut, la discipline et la déontologie, le tarif, le recouvrement de créances, la compétence et les réseaux.
Un congrès majeur dans l'histoire de la profession
Plus de 500 participants, dont de très nombreux jeunes confrères, ont assisté, deux jours durant, aux présentations ultra dynamiques de l'équipe du congrès, sur une scène magnifiquement décorée par des info-décors projetées sur un écran géant situé derrière la scène. Si chacun a été impressionné par le professionnalisme de la scénographie, ce sont les thèmes développés qui ont suscité l'événement de ce qui restera sans doute comme un congrès majeur dans l'histoire de la profession des huissiers de justice français.
Tous les thèmes, y compris les plus délicats - comme ceux du tarif et de la déontologie - ont été abordés sans complaisance et avec lucidité, dans un souci d'œuvrer pour l'avenir d'une profession qui se doit d'évoluer pour toujours pleinement jouer son rôle et conserver sa place prépondérante dans les institutions judiciaires.
Un tandem très remarqué
Envisager la réforme d'une profession ne peut plus se concevoir aujourd'hui sans s'intéresser à son aspect international. C'était l'objectif de la 2e commission menée par Mathieu Chardon, très efficacement secondé par Stéphane Gensollen.
Après avoir présenté, dans un tandem très remarqué, façon journal télévisé, les différentes institutions européennes (Commission européenne, Conseil de l'Europe) et les instruments concernant les huissiers de justice (règlements européens du Conseil de l'Union européenne et du Parlement européen, Rec(2003)17 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres en matière d'exécution des décisions de justice), trois intervenants prestigieux se sont succédés.
Des mines d'or pour la profession
Linda Benraïs, directrice de l'Agence de coopération juridique internationale (Acojuris) a insisté sur l'importance de l'investissement de la coopération juridique en matière internationale et le bénéfice que peuvent en retirer les Etats comme la France.
Bruno Dupont, président d'Euralia, société de conseil établie à Bruxelles, a rappelé que la profession d'huissier de justice française avec une représentation permanente auprès des institutions européennes.
Enfin, le président de l'UIHJ, Jacques Isnard, s'est lancé dans une allocution enflammée qui s'est pratiquement achevée en standing ovation. Le président Isnard, reprenant en particulier les thèmes développés lors des assises du recouvrement de Bruxelles (avril 2004) et de Paris (novembre 2004 - Voir l'article dans ce numéro), a une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme en rappelant que la profession devait évoluer si elle voulait préserver ses intérêts et continuer à remplir son rôle de servir la justice et les justiciables. Le président Isnard a terminé son discours par une véritable profession de foi envers les huissiers de justice, s'adressant en particulier aux confrères : « vous devez prendre votre destin en mains. Il y a tant de choses à faire. Notre profession a un avenir radieux, pour peu que l'on s'y intéresse. Les textes européens en vigueur ou en préparation sont de véritables mine d'or qu'il nous faut exploiter pour assurer notre avenir ! » a-t-il conclu, provoquant un déluge d'applaudissements.
Développement en Pologne
Puis ce fût le tour des intervenants étrangers de Pologne, d'Angleterre et des Pays-bas de présenter leur profession et leurs réformes.
Un reportage a été réalisé pour l'occasion dans chacun de ces trois pays par René Duperray, secrétaire général de l'UIHJ, assisté des membres de l'équipe du congrès.
La Pologne était représentée par Dariusz Potkanski, huissier de justice à Szczecin, trésorier de l'UIHJ, aidé à la traduction par l'inégalable interprète Stanislaw Szafranski. On a également salué la présence dans la salle de Mme Iwona Karpiuk Suchecka, présidente la Chambre nationale des huissiers de justice de Pologne, venue spécialement pour l'occasion. Me Potkanski a expliqué aux congressistes comment, après avoir adopté un statut d'huissier de justice libéral sur le modèle français, grâce aux actions conjuguées de l'UIHJ et de la Chambre nationale française, son office est passé de 900 dossiers par an et 2 collaborateurs, à 900 dossiers par mois et 20 collaborateurs.
Le reportage montrait également les locaux de la société Currenda dont la gérante est la Chambre nationale des huissiers de justice de Pologne. Dans un bâtiment flambant neuf situé à Sopot, à côté de Gdansk, se situe le siège de la société d'édition Currenda. Les locaux de Currenda accueillent également l'imprimerie ultra moderne de la société (où est imprimé le magazine que vous tenez dans les mains), une salle de conférence d'une centaine de places, le service informatique chargé du développement du système informatique créé par Currenda à l'usage des huissiers de justice polonais - qui équipe plus de la moitié des 580 offices -, ainsi que deux appartements mis à la disposition des visiteurs.
Mutation en Angleterre
John Marston, High court enforcement officer (huissier de justice) à Walsall, près de Birmingham, président de la High court enforcement officers association, a évoqué l'évolution de la profession depuis la réforme entrée en vigueur le 1er avril 2004. Notre confrère nous a expliqué la genèse de cette réforme qui a notamment institué une compétence territoriale nationale. Les Sheriffs d'alors n'étaient plus compétitifs et avaient vu leur matière se réduire chaque année, au profit des sociétés de recouvrement. Depuis la réforme, plusieurs High court enforcement officers ont été contraints d'arrêter leurs activités ou de se mettre au service de structures plus importantes. Ainsi, John Marston a mis en place une couverture nationale à l'aide d'un bureau central comprenant aujourd'hui une vingtaine de personnes et quinze micro-offices répartis sur l'ensemble du territoire d'Angleterre et du Pays-de-Galle. Notre confrère estime que, sur les quelques soixante-dix offices existant avant la réforme, il n'en existera qu'une poignée d'ici quelques années.
Expansion aux Pays-bas
Les Pays-bas, venus en nombre, étaient très attendus par l'ensemble des congressistes. Leo Netten, huissier de justice à Tilburg et 1er vice-président de l'UIHJ, nous a fait visiter, dans le reportage, son modeste office de cinquante personnes en pleine expansion. La présentation de Maas Delta, un office d'huissier de justice de 150 personnes répartis sur 4 500 m² de bureaux au centre de Rotterdam, a également créé l'événement. Enfin, le reportage a fait découvrir aux congressistes subjugués le réseau d'huissiers de justice GGN : un office central et dix-huit offices correspondants couvrant l'ensemble du territoire de la Hollande. Sur scène, Leo Netten était entouré de Peter Taks, directeur de GGN et de Jolanda Colastica, team leader du service recouvrement de la compagnie d'assurances néerlandaise CZ, cliente de l'office de Leo Netten et de GGN. Ils ont longuement expliqué la nécessité de se constituer en réseaux pour satisfaire une clientèle toujours plus exigeante.
Des pistes de réforme pour les huissiers de justice français
Il serait trop long ici de résumer les passionnants débats des 3 commissions auxquels ont notamment pris part de nombreux confrères, dont Bernard Menut, secrétaire de l'UIHJ, Marcel Dymant, ancien président de la Chambre nationale, Guy Duvelleroy, ancien vice-président de la Chambre nationale, Thierry Guinot, président de la Chambre nationale des huissiers de justice de Paris et auteur d'un remarquable ouvrage sur l'éthique et la déontologie des huissiers de justice, Pierre-Jean Sibran, président de la chambre départementale des Hauts-de-Seine, Christophe Chaillou, président de la chambre départementale de Vendée, Mourad Skander, président de l'Ordre national des huissiers de justice de Tunisie, mais également Jean-Jacques Daigre, éminent professeur de droit à l'université Paris I Panthéon Sorbonne. Pour conclure, Françoise Andrieux a solennellement levé le voile sur les propositions de l'équipe du congrès :
- Accès à la profession et formation :
création d'un système unitaire de formation interne
formation permanente obligatoire
- Discipline : création d'une commission de discipline indépendante et interne à la profession
- Organisation professionnelle : responsabilisation des élus vis-à-vis des huissiers de justice
- Compétence territoriale : création d'une possibilité de fusion géo-progressive inter-compétence
- Regroupement des offices : outils de regroupement juridique
- Démarchage et publicité : ouverture contrôlée par la profession
- Tarif : proposition d'un contrat de recouvrement permettant une adaptation tarifaire
- Outil de management : la garantie par les compétences : la boussole de la performance
Gageons que les huissiers de justice français, qui ont toujours su s'adapter, sauront s'engager vers la voie d'une réforme nécessaire et qui les conduira vers le chemin de l'expansion à laquelle chacun aspire. En attendant, le traditionnel ouvrage relatant les travaux du congrès est en préparation et sera disponible pour fin 2005.